«T’aimerais pas mieux que ton enfant ne soit pas là?»

«T’aimerais pas mieux que ton enfant ne soit pas là?»

-  Dis-le que t’aimerais mieux que ton enfant ne soit pas là. C’est correct tu sais. T’as le droit, m’a-t-il dit.

-Non, c’est pas ça, lui ai-je répondu.

- Ce ne serait pas mal d’affirmer ça. Dans le fond, ce serait un peu normal : t’as un enfant malade, qui a plusieurs problèmes, dont le quotidien est extrêmement stressant et insécurisant, qui affecte ta vie toute entière, qui t’empêche de faire plein de choses que t’aimerais faire et pour qui tu passes ton temps à te demander s’il aura un avenir qui aura de l’allure! Dis-le que t’aimerais mieux que ton enfant ne soit pas là. Tu peux.

- Euh... non. J’y pense, pis non. C’est pas ça. Non, c’est pas comme ça, ai-je rétorqué.

Hésitant. Surpris. Déstabilisé.

- Mais quand même... Ce serait moins compliqué, ce serait plus facile, ce serait plus simple s’il n’était pas là. T’aimerais mieux que ton enfant ne soit pas là?, renchérissait-il, insistant.

Ce professionnel de la santé voulait me faire parler. Il tentait probablement d’utiliser une technique de provocation pour que je m’exprime davantage, pour que je lui crache des émotions, pour que je braille sur son bureau, pour que je me mette en boule devant lui, pour qu’il puisse « faire sa job » par la suite et travailler sur mon mental.

Cette journée-là, il m’en a demandé beaucoup.

Je préférerais nettement que mon enfant soit en santé?

Vrai.

Mon quotidien est stressant, insécurisant?

Vrai.

Sa situation me fatigue, affecte toute ma vie et m’empêche de faire bien des choses que j’aimerais mener à terme?

Vrai.

Tout ça, c’est la pure vérité.

Serait-ce plus simple si mon enfant n’était pas là?

J’y pense et je n’ai d’autre choix que de vous répondre que oui, ce serait fort probablement plus simple. Quelqu’un a-t-il déjà fait un enfant pour se faciliter la vie? Mais ce qu’il m’a demandé, ce jour-là, ce n’est pas ça. Ce qu’il voulait entendre, c’était que j’aimerais mieux que mon enfant ne soit pas là.

Je préférerais qu’il vive dans un corps plus « standard » avec lequel il serait un peu mieux outillé pour affronter la vie. Je préférerais que notre rythme de vie soit celui de la « famille moyenne », avec ses hauts et ses bas un peu moins bas que ceux auxquels je suis habitué. Et je préférerais que moins de choses dépendent d’un état de santé sur lequel j’ai bien peu d’emprise.

Mais, vous vous en doutez...

Je ne lui ai jamais dit que j’aimerais mieux que mon enfant ne soit pas là.

Parce que je n’ai jamais pensé ça.

Et, vous vous en doutez aussi...

Je n’ai jamais remis les pieds dans son bureau.

 

6 novembre 2014

Naître et grandir

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