Les contes traditionnels présentent souvent des sujets difficiles, de la violence ou des clichés sexistes. Peut-on encore aujourd’hui les lire aux enfants?
29 avril 2024 |Blanche-neige, Hansel et Gretel, Le petit chaperon rouge… Ces contes évoquent des situations dramatiques et véhiculent les stéréotypes d’une autre époque. Même s’ils ont bercé l’enfance de nombreuses générations, peut-on encore aujourd’hui les lire aux enfants?
Les contes rédigés par Charles Perrault au 17e siècle ou par les frères Grimm au 19e siècle avaient à l’origine une fonction éducative. Inspirés pour la plupart de la tradition orale européenne, ils présentaient aux enfants des modèles de comportements à adopter ou à éviter.
Depuis que ces contes ont été écrits, la société a changé tout comme la façon d’éduquer les enfants. Malgré tout, les parents peuvent encore les lire à leur enfant, même lorsque les récits comportent de la violence (Le petit chaperon rouge) ou des sujets difficiles tels que l’abandon (Hansel et Gretel, Le petit poucet), souligne François Bowen, professeur titulaire au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal.
« Ce sont des thèmes qui peuvent amener l’enfant à découvrir certaines réalités, à intégrer les notions de bien et de mal, à développer son jugement vis-à-vis du comportement des personnages », souligne le professeur. Cela est d’autant plus vrai que ces histoires finissent bien en général, ajoute-t-il. « Elles comportent des dangers, mais aussi des moyens de s’en sortir. Elles amènent une résolution. »
Pour une expérience positive
Il est important de lire ces contes dans un contexte chaleureux et d’accompagner l’enfant pendant la lecture ou après. Par exemple, les parents peuvent poser des questions à leur enfant sur l’histoire, sur les actions posées par les personnages et sur les émotions suscitées par la lecture, comme : « Pourquoi penses-tu que le père a agi comme ça? », « Qu’aurais-tu fait à sa place? »,« Est-ce que ça te fait peur? », « Est-ce que ça te rend heureux? », « Penses-tu que c’est une bonne solution? » Ses réponses permettent de voir ce qu’il a compris.
Pour que la lecture du conte soit positive pour l’enfant, le livre doit être adapté à ses champs d’intérêt et à sa maturité. Pour déterminer si un conte est approprié pour leur enfant, les parents doivent le lire avant et ne pas seulement se fier à son âge. « C’est une question de dosage et de voir ce qui convient à l’enfant, car chacun a ses particularités au sein même de son groupe d’âge », souligne François Bowen.
Le professeur rappelle d’ailleurs qu’il existe souvent différentes versions des contes traditionnels parmi lesquelles les parents peuvent choisir, quitte à mettre de côté certains éléments. « Le plus bel exemple est Le petit chaperon rouge. On n’est pas obligé d’ouvrir le ventre du loup ou que celui-ci dévore la grand-mère pour que le récit soit intéressant. »
Des références présentes partoutIl est difficile d’échapper aux contes classiques. En effet, leurs références sont partout : dans les films, la publicité et les livres, rappelle Rachel Deroy-Ringuette, auteure jeunesse et professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Connaître les contes traditionnels permet aux enfants de reconnaître les codes (ex. : le fameux « il était une fois ») et les clichés associés à ce genre littéraire, et ainsi de mieux comprendre les livres et le monde qui les entoure, estime la professeure. |
Déjouer les stéréotypes
Plusieurs contes présentent des clichés sexistes qui peuvent préoccuper les parents, comme dans La belle au bois dormant ou Blanche-Neige. Dans ces histoires, le prince, présenté comme courageux, sauve la princesse qui, elle, démontre de la peur et tient un rôle passif.
« Dans ces contes, les personnages sont généralement très stéréotypés. Ils vont avoir un ensemble de caractéristiques et d’attributs physiques qui vont venir renforcer certaines représentations de genre », explique Isabelle Plante, professeure au Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les différences de genre à l’école.
Pour briser ces clichés, les parents peuvent discuter avec leur enfant pour remettre l’histoire dans son contexte. « Il est possible d’expliquer de manière simple aux jeunes enfants que les valeurs et les comportements décrits dans l’histoire ont changé au fil du temps », signale Rachel Deroy-Ringuette. Elle ajoute que lire des contes qui détournent les codes des contes classiques ou des livres montrant des personnages non stéréotypés est une autre manière de sortir des clichés des contes traditionnels.
Pendant la lecture, les parents peuvent aussi poser des questions à leur enfant pour l’aider à distinguer ses goûts des normes sociales, souligne Isabelle Plante. Ils peuvent par exemple dire : « Dans cette histoire, les filles sont souvent présentées comme ceci et les garçons comme cela. Quelle est ta préférence à toi? »
L’objectif n’est pas de pousser les garçons à aimer les fées ou les filles à aimer les dragons. « L’idée est que les enfants sentent qu’ils ont le droit d’aimer ce qu’ils veulent », résume-t-elle.
Ces précautions ne doivent toutefois pas faire perdre de vue un objectif essentiel de la lecture : le plaisir qu’a l’enfant à lire une histoire avec son parent, prévient François Bowen. « Il ne faut surtout pas donner un cours, le cadre doit rester ludique », précise-t-il.
Même s’il y a des avantages à lire des contes traditionnels, l’important est de diversifier les lectures proposées aux enfants, soulignent les trois experts. Cela permet aux enfants de prendre conscience de la diversité des modèles sociaux, mais aussi de la richesse des styles et des formats que l’on trouve dans la littérature jeunesse d’hier et d’aujourd’hui.
Des contes et des livres qui brisent les stéréotypesIl existe plusieurs contes qui détournent les codes des contes classiques. En voici deux : - La pire des princesses d’Anna Kemp
- La princesse dans un sac de Robert Munsch
Pour des idées de livres contemporains qui présentent des personnages non stéréotypés, consultez kaleidoscope.quebec. |
Perrine Larsimont– Équipe Naître et grandir
Photo : GettyImages/gohura