Empêcher une femme de décider si elle veut ou non vivre une grossesse est une forme de violence conjugale.
8 mars 2022 | La violence conjugale peut prendre plusieurs visages. Par exemple, certaines femmes subissent des pressions et des manipulations de la part de leur conjoint pour avoir un enfant. C’est ce qu’on appelle la coercition reproductive. Ce type de violence n’est pas nouveau, on n’a qu’à penser à l’histoire de Chantale Daigle, mais il commence tout juste à être davantage étudié, notamment par la chercheuse Sylvie Lévesque.
Mis à jour le 14 mars 2023
La professeure au département de sexologie de l’UQAM s’est entretenue avec plusieurs femmes victimes de coercition reproductive pour mieux comprendre le phénomène. À la lumière de leurs témoignages, elle constate que ce type de violence peut prendre plusieurs formes.
« Certains partenaires mettent énormément de pression sur une femme pour qu’elle devienne enceinte, même si ce n’est pas ce qu’elle souhaite », explique Sylvie Lévesque. Et ils utilisent plusieurs moyens pour y arriver. Certains sabotent la méthode de contraception utilisée par la femme, par exemple ils jettent les pilules contraceptives ou ils font des trous dans le condom. D’autres disent qu’ils sont vasectomisés alors que ce n’est pas le cas.
Il y a aussi des partenaires qui exercent un contrôle en transmettant de fausses informations, par exemple en disant que la contraception hormonale rend stérile. D’autres font des menaces comme « si tu m’aimais vraiment, tu voudrais avoir mon enfant » ou empêchent la femme d’avoir accès à la pilule du lendemain ou à l’avortement pour imposer une grossesse.
La coercition reproductive s’exerce aussi en sens inverse, c’est-à-dire cela peut impliquer de blesser physiquement une femme de façon à provoquer une fausse couche. Ou encore de la forcer à interrompre sa grossesse alors qu’elle souhaite la poursuivre.
Et les hommes?Il arrive aussi que des hommes subissent des pressions ou des manipulations de leur conjointe pour devenir père. Cependant, dans le cadre de son étude, Sylvie Lévesque a rencontré exclusivement des femmes puisque ce sont elles qui doivent vivre physiquement la grossesse et qui sont affectées dans leur intégrité physique. |
Un phénomène peu documenté, mais bien présent
Aux États-Unis, une femme sur 10 est victime de coercition reproductive, selon Sylvie Lévesque. Il n’y a toutefois pas de données québécoises permettant d’estimer la fréquence du phénomène ici. Cependant, dans une enquête qu’elle a réalisée, la chercheuse a pu constater que le phénomène est bien présent. « Dans un projet sur la violence conjugale, nous avons pu documenter plusieurs cas de coercition reproductive », souligne-t-elle.
Bien que certaines femmes puissent avoir vécu ce genre de comportements sans être déjà victimes de violence conjugale, les gestes les plus graves comme le sabotage de la contraception ou les menaces sont souvent associés à un contexte de violence. Plusieurs femmes interrogées par Sylvie Lévesque ont d’ailleurs rapporté que leur grossesse n’était pas désirée et qu’il s’agissait d’un moyen imposé par leur partenaire pour les contrôler davantage.
Certains hommes pensent en effet que la présence d’un enfant compliquera la vie de leur conjointe si elle souhaite mettre fin à la relation. « De plus, même en cas de rupture, le père pourrait avoir une garde partagée de l’enfant ou des droits de visite, souligne Sylvie Lévesque. Il a ainsi une emprise de plus sur sa conjointe. »
Par ailleurs, certaines femmes interrogées par la chercheuse racontent que la belle-famille pouvait aussi exercer des pressions sur elles. « Nous avons vu des cas où la belle-famille vérifiait les draps, voulait être informée des menstruations ou insistait pour qu’il y ait des relations sexuelles pendant la période fertile », remarque Sylvie Lévesque.
Une violence sexuelle?Selon certains experts, la coercition reproductive est aussi une forme de violence sexuelle, en particulier lorsqu’elle se produit entre deux partenaires qui ne forment pas un couple stable. Par exemple, on entend de plus en plus parler du retrait non consensuel du condom. « Selon les données dont nous disposons, trois femmes sur dix rapportent l’avoir vécu », souligne Sylvie Lévesque. Ce geste est reconnu depuis peu comme une agression sexuelle. « Ces hommes ne veulent pas à tout prix devenir père ou contrôler leur partenaire, mais en agissant ainsi ils mettent la femme à risque de vivre une grossesse non désirée et de subir les conséquences associées », explique Sylvie Lévesque. Ce qui constitue une violence sexuelle. |
Des répercussions sur les femmes et les enfants
« Il est difficile de distinguer les conséquences uniquement associées à la coercition reproductive de celles dues à la violence conjugale », remarque Sylvie Lévesque. Cependant, ces comportements peuvent causer du stress et de l’anxiété chez les femmes qui en sont victimes. Elles peuvent aussi vivre de la colère, de la méfiance ou de l’hypervigilance. Certaines disent avoir un moins grand intérêt sexuel par la suite.
Par ailleurs, si une grossesse survient, la femme aura à entreprendre des démarches pour avoir accès à la contraception d’urgence et débourser les frais associés. Si elle choisit de garder le bébé, le fait que la grossesse n’était pas désirée pourrait nuire au lien avec l’enfant et créer des difficultés parentales. « De plus, si la grossesse a lieu dans un contexte de violence conjugale, certaines femmes sentent qu’elles doivent protéger leur enfant et sont donc toujours sur le qui-vive », observe la chercheuse.
L’importance d’aller chercher de l’aide
« Les femmes qui vivent de la coercition reproductive ont une petite voix en elle qui leur dit que ces comportements ne sont pas normaux, mais elles ne l’écoutent pas, remarque Sylvie Lévesque. Elles doutent de leur interprétation de la situation. » C’est pourquoi elles devraient en parler avec des gens de confiance qui peuvent les soutenir et qui ne banaliseront pas les gestes de leur conjoint. Cela est d’autant plus important que ces femmes se sentent souvent isolées.
La chercheuse suggère aussi aux femmes qui croient être victimes de coercition reproductive de contacter SOS violence conjugale ou des maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence conjugale. Discuter avec une intervenante pourra les aider à valider ce qu’elles vivent, à réfléchir à leur situation et peut-être à entreprendre des démarches pour sortir de cette violence.
Enfin, les cliniques de planification familiale peuvent proposer des méthodes de contraception à plus long terme comme un stérilet ou un implant. « Cela permet à ces femmes d’avoir un plus grand contrôle sur leur fertilité », conclut Sylvie Lévesque.
Si vous êtes victime de violence conjugaleIl est important de dénoncer les actes dont vous êtes victime. Pour ce faire, vous pouvez : -
parler de ce que vous vivez à une personne en qui vous avez confiance;
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trouver des personnes qui peuvent vous aider.
Si vous sentez que votre vie ou celle de votre enfant est menacée, appelez la police, au 911. Des ressources pour vous aider : |
Kathleen Couillard – Équipe Naître et grandir
Photo : GettyImages/Rawpixel