Portrait de parents inuits au Nunavik

Portrait de parents inuits au Nunavik
Portrait de parents inuits au Nunavik
Isolés géographiquement, les parents inuits doivent jongler entre les défis et les opportunités de la modernité sans oublier leurs savoirs traditionnels.

29 mai 2018 | Au nord du 55e parallèle, les parents des villages du Nunavik vivent une réalité parentale bien différente de ceux du « sud » du Québec. Isolés géographiquement, les parents inuits doivent jongler entre les défis et les opportunités de la modernité tout en misant sur l’apprentissage des savoirs traditionnels.

Yaanie Alayco n’était âgé que de 17 ans lorsqu’il a eu son premier enfant et sa conjointe Alex Aliqu avait 16 ans. « J’étais un peu jeune, mais j’avais du travail, ce qui m’a permis de subvenir aux besoins de ma famille », lance le jeune homme dynamique qui a travaillé comme professeur d’éducation physique, gardien à la station de police, agent de protection de la jeunesse ainsi qu’aux services sociaux… tout en prenant des saisons sans solde pour vivre de la chasse.

Assis dans son salon à Akulivik, Yaanie regarde un match de hockey des Canadiens avec ses enfants, Jean-François et Sappa, âgés de 1 an et 5 ans. Lorsque le match se termine à 22 h 30, Yaanie sort sa guitare pour mettre de l’ambiance. Au même moment, Sappa s’habille pour aller rejoindre des amis qui jouent encore dehors.

« La vie est beaucoup plus libre dans le Nord, lance Yaanie, sourire aux lèvres. On laisse les enfants jouer librement pour qu’ils apprennent en faisant leurs propres expériences. » C’est ainsi que toute la famille se couche en même temps tous les soirs vers 23 h ou minuit, laissant les enfants dormir quand ils sont fatigués, peu importe l’heure de la journée.

C’est un peu comme si le temps était moins important que dans le « sud ». De toute façon, c’est toujours la température qui décide des activités, car un blizzard peut frapper à n’importe quel moment. Sans compter que le calendrier des activités traditionnelles est dicté par le mouvement des espèces animales au gré des saisons.

La chasse et la pêche font d’ailleurs partie des activités traditionnelles auxquelles les deux garçons de Yaanie ont été initiés tôt. Sappa a d’ailleurs tué son premier caribou à l’âge de 3 ans! « C’est important de lui montrer comment chasser, car il devra savoir comment se nourrir plus tard », explique le père de 23 ans.

Née d’une mère saguenéenne et d’un père inuit, Maali Tukirqi se sent aussi profondément attachée au territoire nordique, qu’elle associe à l’air pur et à la liberté. « C’est un très beau milieu pour élever un enfant », dit la mère de 33 ans qui a travaillé et envoyé son garçon Isaiah, aujourd’hui âgé de 6 ans, au CPE du village pendant la petite enfance.

Tout comme sa mère, Maali a adopté un horaire et une éducation un peu plus stricts que les autres familles inuites, en imposant une heure de coucher vers 21 h. N’empêche qu’elle ne souhaite pas s’imposer de stress avec les horaires, préférant profiter de l’instant présent. « Dans le “sud”, on dirait que les heures passent trop vite et que les gens ont peur de manquer de temps  », lance-t-elle en riant.

Des communautés tissées serrées

Au Nunavik, les communautés sont aussi tissées très serrées. La proximité et l’aide des parents font d’ailleurs partie intégrante de l’éducation des enfants dans le Nord, car la vie familiale commence souvent dans la maison des parents. La raison : les maisons sont louées par l’Office municipal d’habitation Kativik, qui gère 3356 unités d’habitation dans les 14 communautés et qui octroie des maisons selon les besoins des familles. Or, il manque près de 1 000 maisons au Nunavik.

Toutefois, dans certains villages comme Akulivik ou Kangiqsujuaq, suffisamment de maisons sont construites chaque année pour répondre à la demande. C’est ainsi que Yaanie a pu obtenir une maison à l’âge de 18 ans.

Maali a pour sa part obtenu une maison jumelée à Kangiqsujuaq pour elle et son garçon lorsqu’il avait 3 ans. Grands-parents, amis, et même tout le village, sont mis à contribution quand vient le temps de s’occuper des enfants, soutient la mère qui a perdu son conjoint deux jours avant la naissance de son garçon. L’adoption par des pairs est une autre réalité fréquente au Nunavik, explique Maali. Par exemple, l’enfant d’une jeune fille de 16 ans sera souvent élevée par les parents de celle-ci, dit-elle.

Entre tradition et modernité

Les jeunes inuits ont également de plus en plus de modèles de leaders instruits qui souhaitent redécouvrir et mettre en valeur les connaissances traditionnelles, se réjouit pour sa part Lucassie Nappaaluk, un aîné respecté de Kangiqsujuaq. « Autrefois, on devait apprendre à chasser et à gérer un attelage de chiens pour survivre, mais aujourd’hui, les jeunes doivent être instruits pour fonder une famille », remarque sagement l’homme de 68 ans qui a passé les onze premières années de sa vie à vivre dans un igloo ou dans une tente. Entre l’igloo et l’iPad, Yaanie et Maali rêvent quant à eux que leurs enfants réussissent à intégrer les connaissances modernes aux traditions inuites.

Accès aux soins de santé
Bien sûr, les parents du Nunavik rencontrent aussi des défis dans leur vie quotidienne. Par exemple, l’accès aux services de santé est difficile dans les communautés isolées. En effet, la plupart des communautés n’ont accès qu’à une petite clinique tenue par des infirmières dévouées, mais où les interventions sont limitées.
Dès qu’un problème majeur survient, les patients doivent être envoyés vers Kuujjuaq ou Puvirnituq dans un avion d’urgences médicales appelé Médévac. « La première année d’Isaiah a été très difficile et je devais toujours partir en Médévac pour aller à l’hôpital », se souvient Maali. Lorsque le problème ne peut pas être réglé dans un hôpital du Nunavik, il faut prendre un autre vol vers Montréal, explique Maali. « C’est déjà arrivé à Isaiah et je n’ai même pas pu monter à bord pour l’accompagner », s’attriste la mère qui n’a pu le rejoindre que le lendemain en prenant un vol régulier.

 

Guillaume Roy – Naître et grandir

Naître et grandir

 

Photos : Guillaume Roy et Yaanie Alayco

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