Quand l’aîné fait la «conversation» avec bébé

Quand l’aîné fait la «conversation» avec bébé
Par Marie-Ève Bergeron-Gaudin, Orthophoniste

Dernièrement, je me suis amusée à observer une interaction entre mes 2 garçons, interaction dont le déroulement ne manque pas de se répéter plusieurs fois par semaine. Jules s’amuse des yeux écarquillés de son petit frère Renaud, qui s’esclaffe de voir son grand frère sourire. Le rire du plus petit entraîne un fou rire contagieux chez le plus grand. Les deux s’amusent de bon cœur pendant que je savoure cet instant de douce complicité fraternelle… en étant pleinement consciente que les querelles viendront bien assez vite! Généralement, c’est ainsi que s’amorce l’échange entre Jules, 3 ans et demi, et Renaud, 6 mois. Parfois aussi, Jules entreprend la « conversation » avec Renaud.

Jules dit souvent à son frère : « Allo toi! », en reprenant à quelques reprises. Ce qui me frappe, c’est qu’il adopte une voix aigüe, articule exagérément, parle très lentement, allonge son « a » et son « o », et répète, répète! Bref, mon grand adopte tout naturellement ce qu’on appelle, dans les sciences du langage, le « langage adressé à l’enfant (LAE) ».

Bébé, un partenaire de conversation

L’utilisation du LAE pour parler à bébé serait observée partout dans le monde, et la préférence des tout-petits pour celui-ci serait universelle. Selon les spécialistes, cette façon de parler aiderait à faire du bébé un partenaire de « conversation ». Alors, voilà : mon Jules s’ajuste inconsciemment à son frère pour faciliter l’échange entre eux. Grand champion, va!

En fait, savoir s’adapter à son interlocuteur est une habileté langagière comme une autre, comme prononcer correctement les sons et produire des phrases complètes. Elle est assurément moins tangible, mais n’en est pas moins cruciale. Vous n’avez qu’à vous imaginer vous adresser de la même façon à votre enfant, à votre conjoint(e) et à votre patron pour prendre pleinement conscience de l’importance d’utiliser le langage de façon adaptée à votre interlocuteur! Ainsi, il y a le contenu du langage (ce qu’on dit), sa forme (comment on le dit), mais aussi son utilisation, ce qu’on peut appeler en termes plus savants la pragmatique.

Dès l’âge de 3 ans et demi-4 ans, l’enfant commence à adopter une façon de s’exprimer conforme à ce qui est attendu dans le contexte; le LAE est un exemple parmi d’autres. L’enfant peut aussi tenter d’adopter une façon plus relevée de parler dans ses jeux, pour bien remplir un rôle, par exemple celui d’un vendeur ou d’un client. À ce sujet, Jules m’a lancé l’autre jour : « Voulez-vous de la pizza? », tandis que nous jouions au restaurant. Il n’emploie jamais le « vous » dans d’autres contextes. Il a d’ailleurs bien le temps de se questionner à savoir s’il devrait tutoyer ou vouvoyer son interlocuteur! Adapter notre façon de parler à la personne à qui on s’adresse est un art que l’on apprend à maîtriser au fil des années. Pour le moment, je me contente de m’émerveiller de la spontanéité avec laquelle Jules parle en s’ajustant à son petit frère. Et je ne me lasse pas d’écouter leurs rires résonner dans la maison.

NDLR : Marie-Ève vient de publier le livre J’apprends à parler : le développement du langage de 0 à 5 ans aux éditions du CHU Sainte-Justine.

 

12 avril 2014

Naître et grandir

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