Moi, maman?

Moi, maman?

Son visage est rouge comme une tomate à force d’avoir hurlé. Ses yeux sont cachés derrière deux paupières closes et bouffies et son nez écrasé me rappelle celui d’un boxeur après des années de combats. Que dire de ses cils qui ont visiblement oublié de pousser et de sa grosse tête déformée par l’effort et dépourvue de cou. Pendant que j’observe, étonnée, ce drôle de bébé qui ne ressemble à rien de ce que j’avais imaginé, j’entends mon entourage s’extasier et me féliciter haut et fort d’avoir mis au monde un si joli poupon. Je dois rêver. On n’a pas la même image. Ils ont dû glisser une drogue hallucinogène dans mon soluté qui m’empêche de voir clair. Il y a même une infirmière qui trouve que c’est mon portrait tout craché! (J’ai peur de demander un miroir pour vérifier).

Certes, je ne devais pas être très jolie à voir, il y a dix minutes, lorsque je criais et poussais comme une folle pour me libérer de mon hôte, mais c’est déjà du passé. Maintenant que le bébé est né, j’attends. J’attends de naître à mon tour au milieu de cette scène que j’ai lue dix fois dans les livres, mais dont je ne fais pas encore partie. C’est terrible, mais je ne me sens pas bouleversée. J’ai même la désagréable impression d’avoir raté un chapitre important : celui où je me transforme en maman. Comme il me manque les mots pour le dire, je choisis le silence. Avec tout ce bonheur dans l’air, je me vois mal avouer mon désarroi.

J’étais pourtant si bien quand ce petit bout de chou grandissait à l’intérieur de moi. J’étais le bocal d’un joli petit poisson rouge que je ne voyais jamais. Je me sentais habitée de l’intérieur. Et maintenant, plus rien. Mon corps s’est vidé d’un être qui ne remplit pas ma vie comme je m’y attendais, comme les livres le décrivaient ou comme les autres mamans le racontaient.

Que vais-je faire si l’amour ne se glisse jamais entre nous? Inquiète, je sers son petit corps chaud contre le mien à la recherche d’une sensation. Ses yeux sans cils s’ouvrent lentement et me fixent du regard. C’est de l’art ou de la magie, je n’en sais trop rien, mais j’ai soudain la profonde conviction de n’avoir jamais rien vu d’aussi beau. Le nez de boxeur, la tête sans cou, la peur, l’indifférence, les blouses blanches, les mots des uns et des autres : tout disparaît. Je remonte à la surface de moi-même, sur une belle vague d’amour, et d’un seul regard, je laisse ce petit bout de chou me transformer en maman. Sa maman.

 

6 mai 2009

Naître et grandir

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