Les enfants de Josée Bournival sont doués. Ils ne sont pas meilleurs que les autres. Ils sont différents.Mes enfants sont doués. Ils ne sont pas meilleurs que les autres. Ils sont différents. Ce n’est pas une impression maternelle, c’est le résultat de nombreux tests psychologiques qu’ils ont effectués en compagnie de spécialistes.
La douance, ou haut potentiel intellectuel (HPI), ce n’est pas ce que l’on imagine. Si vous croyez que j’élève quatre petits Mozart qui composent sagement des symphonies, qui apprennent à parler des langues étrangères par eux-mêmes ou qui sont tous premiers de classe, détrompez-vous! Les doués ne sont pas tous comme ça.
De l’extérieur, la douance a l’air très « cool ». Plusieurs adultes pensent même qu’un parent se vante lorsqu’il affirme avoir des enfants doués. Croyez-moi, la plupart du temps, ce sont plutôt des cris de détresse ou le besoin de ventiler une situation qu’ils trouvent difficile à gérer.
J’élève quatre bombes à retardement. Il existe souvent un grand décalage entre le développement intellectuel des petits doués et leur développement émotif. Ce sont des enfants qui font des crises, qui sont hyperémotifs. Ce sont des Martiens. L’image est de la neuropsychologue Marianne Bélanger. Elle compare ses petits patients à des extraterrestres. Dès que mes enfants sortent de notre maison, ils enfilent leur costume de Terriens pour se conformer aux règles terriennes, pour correspondre à ce qu’on attend d’eux à l’école. Ils sont constamment en guerre avec leur nature profonde et ce qu’ils ont l’impression qu’on attend d’eux. Ils font tellement d’efforts qu’au retour à la maison, ça explose de partout!
J’élève quatre porcelaines fragiles. Mes enfants, comme bien des doués, ont des hypersensibilités. Blanche se plaint que « ça sent donc fort la menthe » alors que je m’applique du baume à lèvres à l’autre bout de la pièce. Simone est incapable d’aller dans une salle de cinéma, même avec des coquilles pour atténuer le bruit. La grandeur de l’écran, le volume élevé : tout l’agresse. Même chose pour les néons dans sa classe et pour le chahut des camarades à l’école. Mes enfants, surtout les trois plus jeunes, sont toujours nus à la maison. Ils ne supportent pas les vêtements. Imaginez les étiquettes! Ils veulent du mou, du doux et peuvent faire une crise monstre pour une tuque un peu trop serrée ou un chandail qui pique.
J’élève quatre ogres mangeurs de connaissances. Les doués fonctionnent à l’intérêt. Quand un sujet les passionne, ça devient obsessif. OB-SES-SIF!!!! Simone a fait une fixation sur les morses (ça ne pouvait évidemment pas être sur les chats ou les chevaux). Il a fallu qu’on aille les voir à l’Aquarium du Québec, qu’on visionne toutes les vidéos de YouTube les mettant en vedette, qu’on lui procure toutes les histoires incluant un morse, etc. Je ne compte plus le nombre de dessins et coloriages qu’elle a faits sur le sujet. Jamais mes enfants ne se contentent d’un « je ne sais pas ». Il faut toujours tout décortiquer. Ils ont une soif d’apprendre, de relier des faits abstraits entre eux, de faire des comparaisons.
J’élève quatre cerveaux turbo. L’expression est de mon amie Marie-Ève. C’est en ces termes qu’elle parle de son fils, également HPI. Mes enfants ont de la difficulté à s’endormir parce que leur « hamster » refuse de s’assoupir. Plutôt que d’avoir une pensée linéaire comme la majorité des gens (une idée en amène une autre, puis une autre, puis une autre…), les doués ont une pensée en feu d’artifice (une pensée en amène 50). Lorsqu’ils parlent, ça semble parfois décousu. Parce que leur bouche ne peut pas suivre le rythme de leurs pensées. Avec un papa et une maman doués, ça va. On est en mesure de voir le chemin mental qui les mène d’une idée à l’autre. Mais pour les professeurs ou les amis, c’est parfois compliqué.
J’élève quatre puits sans fond d’angoisse. Mes enfants sont anxieux. Ils ont peur de commettre des erreurs. À un point tel qu’ils évitent les situations où ils risquent d’échouer. Je fais toujours attention aux conversations qui se déroulent devant eux. S’ils n’ont pas toutes les connaissances entourant un sujet, ils peuvent en inventer et imaginer les pires scénarios. J’ai appris à ne jamais rire des craintes de mes enfants, même les plus farfelues : je ne veux pas aller aux funérailles pour ne pas attraper le cancer du défunt, par exemple.
J’élève quatre magiciens. Ils peuvent lire dans votre tête. Sans farce! Ils savent quand un ami ne va pas bien, quand un professeur s’est chicané avant la journée d’école, quand maman essaye de leur cacher quelque chose. Ils ont un sixième sens, une intelligence émotionnelle surprenante. Ça donne un petit garçon de 3 ans qui insiste pour mettre un diachylon sur votre poitrine et qui demande si « ton cœur va mieux maman? » quand tu viens d’apprendre qu’une amie a le cancer.
J’élève quatre bibittes hors normes. Ils ne sont pas «neurotypiques ». Tout comme les autistes. Tout comme les enfants ayant une déficience intellectuelle. Mais on s’attend à ce qu’ils performent dans un univers scolaire adapté aux cerveaux normaux. On s’étonne qu’ils n’aiment pas l’école et n’y performent pas toujours. Pourtant, les études le prouvent : 1 doué sur 4 performe à la hauteur de son potentiel. Deux autres sont en sous-performance et le dernier est en situation d’échec scolaire. Si ma famille est représentative des statistiques, il y a au moins un de mes enfants qui ne finira même pas son secondaire…
J’élève quatre doués. Des enfants en apparence semblables à tous les autres, mais qui représentent de grands défis au quotidien. Comme chaque parent, je leur apprends à s’aimer tels qu’ils sont, avec leurs forces et leurs faiblesses. J’essaye d’être une mère à l’écoute de leurs besoins (nombreux) et aimante. Car, même s’ils sont doués, pour moi, ils sont d’abord et avant tout quatre personnes uniques. Ils sont Clémentine, Simone, Blanche et Léonard.
21 février 2019
Photo : GettyImages/KatarzynaBialasiewicz