La vérité rêvée

La vérité rêvée

On roule vers la garderie en silence. C’est étrange. D’habitude, c’est plutôt agité dans mon auto. Ça chante « Prout, prout, prout que ze t’aime! », ça rit, ça s’émerveille « Waouh! Un poteau! », ou ça s’énerve : « Ma ceinture est krop serrée et pis, pas belle! ».

Aujourd’hui, rien. Pas de cris, ni de crises. Ma fillette, d’habitude si joyeuse, ne dit pas un mot. Je tourne la tête pour voir si tout va bien. Elle regarde le paysage défiler à travers la vitre avec un air triste à mourir.

- Ça ne va pas ma cocotte?
- Elle me répond d’une toute petite voix : « Veux rester avec toi maman. Veux pas aller à la garderie. »

Je la regarde désolée, mais pas longtemps (je manque de foncer dans le STOP). Je m’arrête sagement et m’apprête à lui sortir un grand discours de circonstance sur fond de résignation tranquille : « C’est comme ça. C’est la vie, je n’ai pas le choix, tu sais. Il faut que j’aille travailler. » Ma bouche refuse de s’ouvrir. Les mots restent coincés dans ma gorge. Ils collent sur ma langue. Pourquoi cette vérité devrait-elle porter l’odeur d’une triste fatalité? Ce n’est pas dans ma nature et cela ne chassera pas sa tristesse. Il faut que je trouve une autre façon de lui répondre. Je pourrais la jouer :

DÉLIRE DRAMATIQUE : ma patronne a de gros yeux énormes qui font super peur, alors je ne peux pas t’emmener, et si je ne viens pas, elle va arracher tous les poils de papa pour en faire un manteau pour son petit chien.

ÉGOCENTRIQUE FÂCHÉE 
: je t’interdis de pleurer quand je te dépose à la garderie! Tu me fais sentir comme une affreuse maman qui abandonne son enfant. C’est très désagréable. T’es pas au courant? Les mères sont en train d’éradiquer le sentiment de culpabilité de la planète. Alors, si tu pouvais pleurer après que je sois partie de la garderie et non avant, ça m’arrangerait!

DIVERSION SUCRÉE : et si on allait acheter du chocolat ce soir en rentrant? À quoi ressemble le lapin de Pâques? Combien d’oeufs y a-t-il dans une poule? Tu préfères la crème glacée verte ou rose? Je t’ai déjà raconté l’histoire d’Hansel et Gretel?

Le monsieur derrière moi klaxonne en agitant les bras dans son rétroviseur et en me montrant sa montre. Je reviens à la réalité et me souviens alors d’une adorable tactique utilisée par une de mes amies quand sa fille a son petit blues du matin. Je tente ma chance :

- Moi aussi ma chérie, j’aimerai bien rester avec toi aujourd’hui! Il y a des jours comme ça, où on aimerait mieux rester à la maison. Ce serait tellement chouette, non? On pourrait retourner se mettre en pyjama! Qu’est-ce qu’on pourrait faire d’autre?
- Regarder la télévision! me répond-elle aussitôt.
- Et faire une bataille de bisous!
- Zouer à la cachette!
- Faire des gâteaux à tes nounours!
- Manzer des bonbons.
- Et pas se brosser les dents!
- Ah! non maman, ça, c’est pas bien!

Et de STOP en STOP, on a imaginé notre journée rêvée avec un plaisir fou. Je vous épargne nos délires, mais ça nous a bien fait rire et ça nous a remonté le moral en moins de deux. Quand j’ai déposé ma petite à la garderie, elle m’a serré dans ses petits bras avec un sourire jusqu’aux oreilles comme si on avait vraiment vécu tout ça. Je suis partie au travail le coeur léger.

Comme quoi, même quand il pleut, rien ne nous empêche de rêver au soleil!

 

15 avril 2011

Naître et grandir

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