Graisse de bébé ou surplus de poids?

Graisse de bébé ou surplus de poids?
Par Kathleen Couillard, Journaliste scientifique
Les parents sont-ils aptes à déceler un problème de poids chez leur enfant?

En octobre dernier, une lettre signée par 221 pédiatres dressait un portrait préoccupant du poids des enfants québécois. Selon eux, il faut agir rapidement pour contrer l’épidémie d’obésité qui s’installe. S’agit-il d’un point de vue alarmiste ou, au contraire, banalise-t-on la problématique du poids? Et les parents sont-ils aptes à déceler un problème de poids chez leur enfant?

Pour répondre à ces questions, je me suis entretenue avec la Dre Julie St-Pierre, spécialiste en obésité infantile et signataire de la lettre. Selon elle, l’obésité est réellement un problème au Québec. D’ailleurs, les dernières données de l’INSPQ citées dans la lettre des pédiatres révèlent que 10 % de nos enfants et adolescents souffriraient d’obésité et 30 % d’embonpoint.

Plusieurs parents ont toutefois de la difficulté à réaliser que leur enfant a un problème de poids. « Je le constate tous les jours dans ma pratique », confirme Dre St-Pierre. Selon elle, il existe encore beaucoup de mythes autour du poids des enfants. « C’est de la graisse de bébé. »  « Ça va se régler tout seul avec la puberté. » «  C’est parce qu’il a de gros os. » Cependant, l’examen de la courbe de croissance montre souvent que quelque chose ne va pas.

Démystifier l’IMC et les courbes de croissance

Une partie du problème viendrait du fait que l’indice de masse corporel (IMC) et les courbes de croissance demeurent mystérieux pour plusieurs parents, et même pour certains professionnels de la santé. « Depuis 2010, au Canada, nous avons des courbes de croissance canadienne auxquelles nous devons nous référer, souligne Dre St-Pierre. Ces courbes sont validées pour la population canadienne et sont de très bons outils pour suivre la santé des enfants. »

Dans le cas des enfants de 2 à 19 ans, ces courbes sont basées sur l’IMC, c’est-à-dire le poids de l’enfant en kilogramme divisé par sa taille en mètre carré. Selon les experts, cette donnée permet en fait d’estimer la masse grasse de l’individu.

En général, l’IMC diminue vers la fin de la petite enfance pour augmenter pendant l’enfance et l’adolescence. Il n’est donc pas possible de se fier simplement à la valeur de l’IMC comme on le fait chez l’adulte. C’est à ce moment que les courbes de croissances sont nécessaires. En effet, les courbes de croissance permettent de comparer l’IMC d’un enfant avec celui des autres enfants de son âge.

Par exemple, si l’IMC d’un enfant le place dans le 35e percentile, cela signifie que 35 % des enfants de son âge ont un IMC plus faible que lui. À partir du 85e percentile, on considère que les enfants sont à risque d’embonpoint.

Cependant, une seule mesure d’IMC n’est pas suffisante pour tirer des conclusions fiables. En effet, il est préférable d’observer comment l’IMC évolue dans le temps. « La vitesse de croissance peut être un indice que quelque chose ne va pas sur le plan des comportements alimentaires, de la santé globale et des habitudes de vie, explique Dre St-Pierre. Par exemple, un enfant dont l’IMC a toujours été dans le 50e percentile et qui se retrouve dans le 90e percentile en l’espace de 6 mois devrait être évalué plus sérieusement. »

Grâce aux courbes d’IMC, il est ainsi possible de dépister les problèmes de poids et d’agir rapidement pour prévenir les complications qui pourraient survenir par la suite comme le diabète, l’hypertension, les problèmes de cholestérol, l’intimidation, la dépression, etc. En effet, plusieurs études ont démontré qu’un IMC trop élevé est associé à des problèmes de santé dès l’enfance ou dans le futur.

Aider les parents

Certains parents peuvent toutefois se sentir montrés du doigt lorsqu’on détecte un problème de poids chez leur enfant. « Il y a encore beaucoup de préjugés, déplore Dre St-Pierre. Le mythe que ces parents n’ont pas la volonté nécessaire pour éduquer leur enfant a la vie dure. Il est donc important de leur expliquer que l’obésité est un problème de santé publique qui touche le tiers des enfants de 0 à 5 ans et dont la société est aussi responsable. »

D’où l’importance d’accompagner les familles, rappelle Dre St-Pierre. Pour y arriver, des équipes multidisciplinaires sont toutefois nécessaires. « Ces familles ont besoin d’aide pour planifier leurs repas, pour organiser leur budget d’épicerie, développer leurs compétences culinaires, explique-t-elle. Il faut donc des nutritionnistes, des médecins, des infirmières, des kinésiologues et même des psychologues et des travailleurs sociaux dans certains cas. »

Enfin, l’obésité n’est pas seulement un problème d’alimentation. Il faut aussi penser aux écrans, à l’activité physique, au sommeil et au marketing alimentaire. « À une époque où l’on opère des adolescents pour des chirurgies bariatriques, il faut que nos gouvernements financent ces équipes multidisciplinaires, car il s’agit de l’intervention la plus efficace pour transformer les habitudes de vie des familles. »

 

5 décembre 2019

Naître et grandir

Photo : GettyImages/SideKick

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