Bienvenue Léonard!

Bienvenue Léonard!
Par Josée Bournival, Auteure, animatrice et blogueuse
Ce ne sont pas les cauchemars de Clémentine qui m’ont réveillée. C’est cette douleur au ventre. Une douleur reconnaissable entre mille : la contraction.

Il est minuit. Ce ne sont pas les cauchemars de Clémentine qui m’ont réveillée, pas plus que la soif de Simone ou la toux de Blanche. C’est cette douleur au ventre. Une douleur reconnaissable entre mille : la contraction.

L’intensité de la crampe me saisit. La fréquence des contractions aussi. Je décide de me faire couler un bain chaud pour relaxer et me rendormir. Mais le travail ne diminue pas. Une heure plus tard, je décide d’appeler ma mère.

« Désolée de l’heure tardive, mais je pense que tu devrais t’en venir. »

Je m’en veux de la réveiller en pleine nuit et de lui imposer plus d’une heure et demie de route dans la noirceur, mais je sens que je ne dois pas attendre au petit matin pour la demander en renfort. Une intuition…

Je repense alors à ma soirée. J’ai mis la table pour le déjeuner, j’ai préparé les vêtements des enfants, j’ai mis en évidence la boîte à lunch de Clémentine. Comme si je pressentais que cette nuit serait la bonne.

Une contraction me ramène au présent. Je réveille mon homme, l’informe de la situation.

« Je ne pense pas que tu vas aller travailler demain! »

Commence alors le minutage des contractions. Des crampes à intervalles irréguliers qui laissent croire que le « vrai » travail n’est pas encore commencé. Je m’efforce de respirer à chaque contraction, d’apprivoiser la douleur sachant que celle qui s’en vient sera mille fois plus intense.

À 3 h, j’entends ma mère au rez-de-chaussée. Je respire enfin. Peu importe la suite des événements, elle saura prendre la relève avec les grandes. Je peux maintenant me concentrer sur mon bébé. Mon bébé qui veut naître.

Vers 5 h, je songe à partir pour l’hôpital. Ce que je redoute, c’est le lever des poulettes, les mille questions, le bruit qui va me distraire du travail de plus en plus intense. Pourtant, je reste couchée : il est trop tôt pour se rendre à l’hôpital. Je souhaite faire le plus gros du travail à la maison pour éviter les interventions médicales.

À 6 h, je réalise que le trafic matinal de ce lundi matin 19 octobre va grandement rallonger le déplacement vers le lieu de naissance de mon fils. Je regrette de ne pas être partie plus tôt. Mes contractions sont toujours irrégulières. Leur intervalle varie de 3 minutes à 8 minutes. En principe, si je me fie à ce qu’il y a dans les livres, je ne suis pas sur le point d’accoucher.

 Une heure plus tard, je demande à mon amoureux de contacter la maternité pour les prévenir de notre arrivée. Peu importe ce qu’en disent les bouquins et les experts, je sens dans ma chair que la naissance approche. Après avoir répondu à mille questions, mon homme raccroche.

« L’infirmière te recommande de t’activer dans la maison et de prendre un autre bain. »

Je me sens alors comme une élève rabrouée parce qu’elle ne maîtrise pas sa leçon. Une femme qui ne connaît rien à son corps et à qui on suggère la patience.

« Désolée, mais on va à l’hôpital. »

Mon chum ne discute pas. Il voit bien que je suis en douleur, me fait confiance. Son attitude me réconforte.

Rapidement, j’embrasse les filles qui s’apprêtent à partir pour l’école, salue ma mère en vitesse et file à l’hôpital pour accueillir mon bébé. La route me paraît longue. C’est l’apogée de l’heure de pointe pour les travailleurs et les minutes et les contractions s’additionnent.

À 7 h 55, on arrive enfin au centre hospitalier. Aussi vite que mes contractions me le permettent, je me rends à la maternité. Sur place, les infirmières m’accueillent avec légèreté. Ça contraste grandement avec la tempête que je ressens à l’intérieur.

Une contraction s’amène pendant qu’on m’installe le moniteur foetal. J’ai envie de crier de sauter cette étape, de me faire un examen vaginal, car je sens que je ne pourrai pas supporter cette douleur encore très longtemps.

Viennent ensuite les questions :

« Chambre privée ou semi-privée? »

« Repas régulier ou végétarien? »

Je garde les yeux fermés. Je réponds de manière télégraphique. Je me fous éperdument de ce qu’il y aura dans mon assiette au prochain repas.

Une nouvelle contraction s’amène, intense, monstrueuse. Je me mets à crier. L’infirmière semble alors comprendre… Examen vaginal : « 9+, il faut l’amener en salle d’accouchement. Elle est prête à pousser. »

Déjà, bébé fait son chemin, je le sens traverser mon bassin, chercher la sortie. Trois infirmières poussent ma civière. Est-ce qu’on tourne à gauche ou dans le corridor de droite? Je n’en ai aucune idée. J’ai les yeux clos, le corps tordu de douleur. Encore un cri, bestial, primitif. C’est plus fort que moi.

Avant même de passer la porte de la salle d’accouchement, mon chum voit la tête chevelue de notre fils. Une nouvelle contraction et Léonard naît. Il est 8 h 18.

Mon homme m’embrasse. C’était notre dernière naissance. La plus intense. Plus jamais je ne vais accoucher et mettre un enfant au monde. En ce moment, le bas du corps à vif, c’est une bonne nouvelle.

Bienvenue Léonard, mon fils, mon dernier bébé!

 

22 octobre 2015

Naître et grandir

Partager