Allaitement et dompéridone: des effets inquiétants sur la santé mentale

Allaitement et dompéridone: des effets inquiétants sur la santé mentale
Allaitement et dompéridone: des effets inquiétants sur la santé mentale
L’utilisation de la dompéridone pour augmenter la production de lait des mères est-elle risquée?

23 mars 2023 | De nombreuses mères qui allaitent utilisent la dompéridone pour augmenter leur production de lait. Santé Canada est toutefois préoccupé par des effets sur la santé mentale qui surviendraient lors de l’arrêt de ce médicament. Doit-on s’en inquiéter? Deux pharmaciennes et une consultante en lactation font le point.

Développée pour traiter certains problèmes digestifs, la dompéridone est prescrite depuis plusieurs années au Canada aux femmes qui allaitent et qui ne produisent pas assez de lait. « Environ une femme sur trois qui me consulte utilise de la dompéridone pour augmenter sa production de lait », remarque Annabelle Boucher, consultante en lactation IBCLC dans la région de Rimouski.

En décembre dernier, Santé Canada a entrepris une révision des données sur la sécurité de la dompéridone. En effet, le ministère est préoccupé par des symptômes de sevrage rapportés chez certaines femmes qui avaient cessé de prendre ce médicament.

Selon la banque de données LactMedMD, certaines mères auraient expérimenté divers problèmes psychiatriques, comme de l’anxiété, de la dépression, des troubles obsessionnels compulsifs ou des pensées suicidaires, après avoir arrêté brusquement la dompéridone. Des cas similaires ont aussi été décrits par la chaîne CBC en décembre dernier.

« Les premières notifications de cas dans la littérature scientifique remontent à 2013, remarque Josianne Malo, pharmacienne en néonatalogie au CHU Sainte-Justine. Environ 8 cas ont été rapportés dans différents pays. Ce genre d’effets existe donc, mais est probablement rare. »

Plusieurs hypothèses sont proposées pour expliquer ces effets secondaires. « La dompéridone est un médicament qui pénètre peu le système nerveux central, mentionne Josianne Malo. Cependant, si on utilise des doses très élevées ou si une femme est plus vulnérable biologiquement à ce médicament, il se peut qu’une quantité suffisante se retrouve dans le système nerveux central et qu’un effet survienne lors du sevrage. » D’autres mécanismes ont aussi été proposés mettant en cause la prolactine.

Comment agit la dompéridone?

La dompéridone agit en bloquant l’action de la dopamine, une molécule qui influence le système nerveux. « La dopamine freine la production de prolactine, l’hormone la plus importante pour la fabrication du lait », explique Josianne Malo. Lorsqu’une mère prend de la dompéridone, c’est comme si on enlevait ce frein. Cela permet donc une plus grande fabrication de prolactine et une augmentation de la quantité de lait produite.

Des doses trop élevées?

La plupart des études réalisées sur la dompéridone utilisent des doses de 30 à 60 mg par jour. « Certains experts en allaitement estiment que cette dose permet d’augmenter les niveaux de prolactine suffisamment pour produire du lait, souligne Josianne Malo. À partir de ce seuil, des doses plus importantes n’augmenteront pas nécessairement la production de lait, mais pourraient exposer la mère à des risques plus rares. »

« Dans presque tous les cas d’effets psychiatriques lors du sevrage, les doses de dompéridone utilisées étaient très élevées, remarque Annabelle Boucher. Les médecins mentionnent d’ailleurs de plus en plus l’importance d’augmenter la dose progressivement. Avant je voyais des femmes se faire prescrire jusqu’à 90 mg par jour, mais ce n’est plus le cas maintenant. »

Une solution de dernier recours

« Il faut se rappeler que la dompéridone est un médicament, remarque Brigitte Martin, pharmacienne au Centre Image du CHU Sainte-Justine. Elle a des bénéfices et des effets indésirables. » Il est donc important d’utiliser la dompéridone seulement lorsqu’elle est nécessaire, souligne la pharmacienne.

« Pour plein de raisons, les mères doutent de leur production de lait, ajoute Josianne Malo. Avant d’utiliser des médicaments, il faut se questionner pour déterminer si la mère en a vraiment besoin. »

Et même s’il y a une réelle insuffisance de lait, la dompéridone n’est pas la première option à envisager. « Dans la majorité des cas, des stratégies de gestion de l’allaitement devraient être privilégiées », souligne Annabelle Boucher. Selon elle, la meilleure façon d’avoir une production de lait adéquate est d’allaiter dès que le bébé montre des signes de faim et de s’assurer qu’il tète efficacement.

Selon Josianne Malo, il faut aussi vérifier tous les problèmes de santé qui pourraient expliquer le manque de lait : est-ce que la maman est trop stressée ou fatiguée? Prend-elle des médicaments qui pourraient nuire à l’allaitement? Souffre-t-elle d’anémie ou d’hypothyroïdie? A-t-elle vécu une chirurgie mammaire? Lorsque tous les aspects ont été évalués et que les traitements non pharmacologiques ont été tentés, la dompéridone pourrait alors être envisagée.

Interdite aux États-Unis

La vente de la dompéridone est autorisée au Canada pour le traitement de certains problèmes digestifs. Même si elle n’est pas approuvée par Santé Canada pour favoriser la production de lait, elle est souvent prescrite aux mères qui allaitent.
Cependant, aux États-Unis, la vente de la dompéridone est interdite en raison de risques pour la santé considérés comme sérieux par l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA).

Un sevrage sécuritaire

Brigitte Martin souligne l’importance d’accompagner aussi les femmes à l’étape du sevrage. Un avis partagé par Annabelle Boucher. « L’arrêt de la dompéridone devrait se faire très progressivement pour éviter les symptômes de sevrage, insiste la consultante en lactation. Une mère ne devrait jamais cesser d’utiliser un médicament sans en discuter d’abord avec son médecin. »

Enfin, il ne faut pas hésiter à consulter si des symptômes inquiétants se manifestent. « Il est important de parler à son médecin en présence d’insomnie, de rigidité musculaire, d’agitation psychomotrice sévère, d’attaque de panique, de douleur musculaire sévère ou de symptômes gastriques », insiste Annabelle Boucher.

Sources : Santé Canada, LactMedMD, CBC, Santé Canada, FDA

 

Kathleen Couillard – Équipe Naître et grandir

Naître et grandir

Photo : GettyImages/staticnak1983

Partager