Est-ce qu’on propose trop vite des médicaments pour le TDA/H aux enfants? Deux spécialistes se penchent sur la question.
19 décembre 2022 | Depuis 20 ans, les prescriptions de médicaments pour traiter le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) ont augmenté au Québec. Est-ce que certains enfants agités ou distraits reçoivent trop rapidement un traitement médical? Le neuropsychologue Benoît Hammarrenger et la sociologue Marie-Christine Brault réfléchissent à cette question.
Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la proportion d’enfants avec un TDA/H est en augmentation constante depuis les années 2000. C’est aussi le cas des prescriptions de médicaments pour traiter ce trouble neurodéveloppemental. « En 2017, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) a publié des données qui indiquaient qu’environ 14 % des adolescents et des préadolescents avaient un diagnostic de TDA/H et utilisaient de la médication », souligne Benoît Hammarrenger.
Selon le neuropsychologue, les études réalisées ailleurs dans le monde révèlent toutefois que la proportion d’enfants réellement touchés par ce trouble tourne plutôt autour de 7 %. C’est ce qui lui fait dire qu’il y a probablement trop de diagnostics de TDA/H au Québec.
Il faut dire que les médias parlent beaucoup du TDA/H, mais très peu des autres problèmes ou troubles qui touchent les enfants, comme l’anxiété ou la dyslexie. « Lorsqu’un enfant ne réussit pas à l’école ou a des comportements difficiles à la maison, on pense alors immédiatement au TDA/H, remarque le neuropsychologue. Même les psychologues et les médecins ont un biais vers ce diagnostic et c’est souvent la première piste que les enseignants vont suggérer aux parents. »
Inquiétudes au sujet de la médicalisation des enfants
La sociologue Marie-Christine Brault réalise actuellement une étude auprès de parents dont les enfants ont reçu un diagnostic de TDA/H. Selon elle, cette hausse des diagnostics signifie qu’on médicalise certains comportements chez l’enfant. « On regarde un problème de comportement qui n’est pas nécessairement médical au départ avec une lunette médicale », illustre-t-elle. Le danger, selon elle, c’est que certains enfants se retrouvent dans la catégorie des troubles médicaux alors qu’ils ne devraient pas y être.
« Depuis la publication des chiffres de l’INESSS, les gens sont plus conscients de la situation et les nouvelles statistiques indiquent une légère baisse de la médicalisation et du traitement pharmacologique du TDA/H, souligne toutefois Benoît Hammarrenger. On peut donc penser que nous avons de meilleurs diagnostics. »
Dans le cadre de ses recherches sur la médicalisation des comportements des enfants, Marie-Christine Brault a rencontré des parents qui se questionnent au sujet du TDA/H de leur enfant. Ces parents racontent que c’est généralement l’école qui pousse pour la médicalisation. « Cela se passe souvent en début de scolarisation, c’est-à-dire en maternelle, en première année ou en deuxième année », explique la sociologue. Selon elle, on médicalise alors des comportements qui sont pourtant fréquents chez les enfants.
La chercheuse constate que des parents peuvent résister à la rapidité avec laquelle l’école leur suggère d’aller chercher un diagnostic pour leur enfant et éventuellement des médicaments. Ils vont rappeler que leur enfant est encore jeune et insister pour qu’on lui donne plus de temps. « Ils peuvent aussi résister à la description qui est faite de leur enfant et de ses comportements, ajoute-t-elle. Ils ne voient pas ce portrait à la maison. »
Pas d’urgence pour les médicaments
« À cet âge, il est normal de ne pas être attentif ou d’être impulsif et agité, confirme Benoît Hammarrenger. C’est parce que la partie du cerveau responsable du développement de l’autocontrôle se développe plutôt entre 6 et 9 ans. » De plus, le neuropsychologue rappelle que, dans une classe de maternelle, les élèves les plus jeunes nés à la fin de l’été ont plusieurs mois de moins que les plus vieux nés à l’automne. Cela peut créer des différences importantes de maturité.
Par ailleurs, Marie-Christine Brault mentionne que les tout-petits qui arrivent à la maternelle proviennent de familles diversifiées. « Il y a différents modèles de socialisation, explique-t-elle. Par exemple, si un enfant vient d’une famille qui accorde moins d’importance au fait de rester assis ou d’écouter des consignes, l’écart entre ses comportements et ce qui est attendu à l’école sera plus grand. »
Pour toutes ses raisons, Benoît Hammarrenger souligne que chez les enfants de 4, 5 ou 6 ans, on attend avant de poser un diagnostic et on ne recommande pas la médication. On laisse l’enfant se développer, « mais on accompagne les parents pour les aider à gérer les comportements plus difficiles », précise-t-il.
L’importance d’une bonne évaluation
Certains parents rencontrés par Marie-Christine Brault ont également des préoccupations face aux effets secondaires des médicaments. « Beaucoup ont essayé la médication et l’ont arrêtée, raconte-t-elle. Ils trouvaient que leur enfant avait changé. »
Selon Benoît Hammarrenger, puisque l’ensemble de la population connaît maintenant davantage ce qu’est le TDA/H, la majorité des parents comprennent mieux quand la médication est proposée. « Ils résistent moins quand on leur explique que c’est le bon traitement, surtout après avoir passé plusieurs heures avec leur enfant et discuté avec eux pour comprendre son histoire, observe-t-il. Ils voient qu’il y a une base solide pour conclure à un TDA/H et proposer un médicament. »
Cependant, si le diagnostic semble fait rapidement ou basé sur un processus d’essais-erreurs, les parents ont raison d’être plus réticents, remarque le neuropsychologue. C’est d’ailleurs l’un des problèmes qu’a notés Marie-Christine Brault. « Le diagnostic peut être fait de façon très variable », souligne-t-elle.
Benoît Hammarrenger précise que recevoir un diagnostic de TDA/H peut avoir des effets positifs pour un enfant. « Les enfants qui vivent avec ce trouble se questionnent souvent sur leur intelligence ou sur leurs comportements, souligne-t-il. Ils sont déçus d’eux-mêmes. Le diagnostic explique pourquoi ils ont des difficultés et les aide à progresser de la bonne façon. »
Aller au-delà du diagnostic
Selon Marie-Christine Brault, le diagnostic ne doit toutefois pas empêcher l’enfant de vivre ses émotions. « Nous sommes tous parfois impulsifs ou en colère, insiste-t-elle. Dans certaines situations, l’enfant peut avoir une bonne raison d’être bouleversé sans que cela soit causé par le TDA/H. »
Le diagnostic ne devrait pas non plus être une raison pour ne pas évaluer si le milieu de vie de l’enfant pourrait expliquer son comportement. « Les étiquettes de TDA/H peuvent aussi cacher des problèmes familiaux ou sociaux comme la pauvreté, déplore la sociologue. Il faut également regarder ce qui se passe dans le milieu scolaire. » Elle suggère d’ailleurs de prendre le temps de bien écouter l’enfant.
Une position qui est partagée par Benoît Hammarrenger. « L’enfant doit faire partie de l’équipe décisionnelle, insiste-t-il. Par exemple, il est capable de nous dire comment il se sent avec la médication. Les parents peuvent alors utiliser cela pour savoir s’il faut continuer, s’il faut changer de dose ou de médicament ou s’il faut revoir le médecin. »
Sources : INSPQ, INSPQ et INESSS
Kathleen Couillard – Équipe Naître et grandir
Photo : GettyImages/ vgajic