Quelle mémoire!

Le visage de son papa, les consignes, le sens des mots, les fous rires avec sa maman, les comptines. Il en faut de la mémoire à votre enfant pour se souvenir de tout cela!

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Mémoire en formation

La mémoire se développe grâce à la maturation du cerveau. Ainsi, en grandissant, votre enfant sera capable de retenir de plus en plus de choses.

Par Nathalie Vallerand

La mémoire se développe grâce à la maturation du cerveau. Ainsi, en grandissant, votre enfant sera capable de retenir de plus en plus de choses.

Un bébé commence à avoir un début de mémoire avant même sa naissance. Les sons qu’il entend et les autres stimulations qu’il reçoit laissent des traces dans son cerveau. « Ça lui permet de distinguer ce qui est familier de ce qui est nouveau. C’est pourquoi il reconnaît la voix de ses parents dès ses premiers jours de vie », explique la neuropsychologue Sarah Lippé, professeure à l’Université de Montréal et chercheuse sur les mécanismes cérébraux de l’apprentissage de l’enfant.

C’est aussi pour cette raison qu’un bébé peut reconnaître sa mère à son odeur ou montrer des signes qu’il est familier avec une comptine qu’il a souvent entendue pendant le dernier trimestre de la grossesse.

Grâce à sa capacité de reconnaissance, un tout-petit peut retenir de l’information un certain temps. Pour le prouver, des chercheurs ont relié un mobile à la cheville de bébés par un ruban. En agitant leurs jambes, les bébés faisaient ainsi bouger le mobile. En moyenne, les enfants de 2 mois se souvenaient du jeu durant 3 jours; et ceux de 6 mois, durant 14 jours. À 20 mois, un enfant peut généralement se rappeler une série d’actions à faire avec un objet pendant 1 an.

À chaque mémoire sa fonction

Il n’existe pas une mémoire, mais plusieurs types de mémoires qui ont chacune leur fonction.

Mémoire sensorielle

La mémoire sensorielle traite l’information apportée par les sens. Elle apparaît avant la naissance, car elle n’a pas besoin de mots pour s’exprimer. Adam, 2 ans, écoute beaucoup de musique avec sa famille. « Il a commencé à fredonner à 16 mois, dit Clériston, son papa. Il ne prononce pas les mots, mais dès qu’il entend la première note de certaines chansons, il se met à chantonner. » C’est d’abord grâce à sa mémoire sensorielle que l’enfant retient les sons entendus pendant quelques secondes et qu’il peut arriver, à la longue, à apprendre tous les sons d’une chanson.

Mémoire procédurale

La mémoire procédurale apparaît elle aussi très tôt. C’est la mémoire qui inclut l’apprentissage des gestes, celle qui permet d’apprendre des mouvements, comme marcher, utiliser une cuillère, faire du vélo, attacher ses lacets et nager. Une fois que l’enfant sait comment faire, la série de mouvements à faire devient automatique. Votre tout-petit n’a pas à faire d’effort conscient pour s’en souvenir.

Mémoire sémantique

La mémoire sémantique est celle qui permet à votre enfant d’accumuler des connaissances au fil de ses expériences. On pourrait la décrire comme une banque de données qui s’agrandit sans cesse et qui permet de se souvenir du sens des mots, des couleurs, des odeurs, des nombres, de l’apparence et de la fonction des choses, des dates importantes, etc.

Mémoire épisodique

Quand votre enfant vous dit ce qu’il a mangé le midi ou parle d’une fête d’amis où il est allé, il fait appel à sa mémoire épisodique. « C’est la mémoire qui permet de se rappeler dans le détail des événements que l’on a vécus à différents moments », décrit Marion Noulhiane, chercheuse en neurosciences au centre de recherche sur le cerveau NeuroSpin et professeure à l’Université Paris Descartes, en France. Peu présente avant 2 ans, cette mémoire se développe surtout entre 2 ans et 7 ans, avec un pic d’évolution entre 5 ans et 7 ans.

Mais comme son cerveau est encore en développement, l’enfant oublie des événements récents, parfois même ce qu’il a fait aujourd’hui. « D’ailleurs, à la garderie, les éducatrices vont souvent rappeler aux enfants les activités de la journée, indique Sarah Lippé. Le midi, elles leur demandent, par exemple à quel parc ils sont allés et à quel jeu ils ont joué. Puis, elles posent de nouveau ces questions à la collation. Les enfants ont alors plus de chances de s’en souvenir pour le raconter à leurs parents. »

Mémoire à court terme et à long terme
Tous les types de mémoire peuvent être à court terme ou à long terme. La mémoire à court terme conserve l’information quelques secondes. Si cette information est répétée ou si l’enfant essaie de s’en souvenir, elle sera ensuite stockée dans la mémoire à long terme. Elle y restera quelques jours, quelques mois ou même toute la vie.

Exercer la mémoire?

La mémoire se développe naturellement, mais vous pouvez aider votre enfant à l’exercer. Par exemple, les jeux de mémoire où il faut retourner des cartes pour trouver des images identiques font travailler la mémoire visuelle.

Les autres sens sont aussi importants pour développer la mémoire, explique Geneviève Cadoret, professeure et membre de l’équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance à l’UQAM. Mémoire des sons, des odeurs, du goût, du toucher… « Les mémoires se soutiennent entre elles pour aider l’enfant à mieux se représenter et comprendre son environnement, souligne-t-elle. C’est grâce à tous ses sens qu’il peut associer la voix de son papa au visage de celui-ci, un cri à un animal, un goût à un aliment… »

Voici des jeux qui stimulent la mémoire avec les sens :

  • Toucher des objets dans un sac et deviner ce que c’est.
  • Sentir différentes odeurs avec les yeux bandés et les nommer.
  • Associer des sons à des images (ex. : un bruit de moteur à l’image d’un camion, un miaulement à l’image d’un chat).
  • Apprendre une comptine ou une petite danse simple.
Bonne mémoire, bon à l’école?
Les enfants qui ont une bonne mémoire de travail ont plus de chances de réussir à l’école. Cette forme de mémoire permet de retenir des informations et de les manipuler mentalement pour effectuer une tâche. Elle exige, entre autres, d’être capable de suivre et de retenir des instructions, et de se concentrer sans se laisser distraire.

 

Souvenirs d'enfance

Vous souhaitez que votre enfant garde de beaux souvenirs de ses premières années. Mais qu’est-ce qui fait que des souvenirs resteront gravés dans sa mémoire et que d’autres s’effaceront?

Vous souhaitez que votre enfant garde de beaux souvenirs de ses premières années. Mais qu’est-ce qui fait que des souvenirs resteront gravés dans sa mémoire et que d’autres s’effaceront?

Luiza, 5 ans, a visité la famille de sa maman au Maroc quand elle avait 3 ans. Elle n’a vu son grand-papa que quelques heures. Pourtant, elle se souvient de ce qu’elle a fait avec lui. « Elle nous raconte qu’il lui a donné des bonbons, des biscuits, qu’ils ont joué ensemble à un jeu », raconte Maria, sa maman.

La fillette se rappelle aussi s’être fait bousculer il y a deux ans dans un autobus scolaire. « Elle a tout oublié du camp de jour où elle se rendait, mais elle nous parle encore de ce qui s’est passé dans l’autobus », s’étonne sa mère.

Quand quelque chose sort de l’ordinaire ou fait vivre une émotion intense à votre enfant, il garde souvent cet événement en mémoire plus longtemps. Comme Luiza, mais aussi comme Émile, 4 ans, qui a vu, il y a un an, un spectacle avec un pirate. « Ça l’a beaucoup excité et depuis, il n’arrête pas d’en parler », dit Elizabeth, sa maman.

Toutefois, ce qui est mémorable pour vous ne l’est pas forcément pour votre enfant. La naissance d’un petit frère ou d’une petite soeur, par exemple. « Comme c’est important, les parents pensent que leur enfant va s’en souvenir, remarque Geneviève Cadoret, professeure à l’UQAM et chercheuse dans le domaine de la mémoire. Mais ce n’est pas toujours le cas. Une sortie spéciale dans un parc sera peut-être plus marquante pour lui! »

Parfois aussi, l’enfant oublie presque tout d’une activité, sauf un détail qui semble sans importance. Émile, par exemple, a fait une belle sortie au musée avec ses parents quand il avait 2 ans. « En sortant, nous avons vu un chien et c’est de ça qu’il nous a parlé les jours d’après », raconte sa mère en riant.

Bien sûr, les enfants se souviennent mieux de ce qui les intéresse. Mais s’ils retiennent peu de choses d’une activité, c’est aussi parce que leur cerveau est en construction, selon Sarah Lippé, neuropsychologue et professeure à l’Université de Montréal. « Pour avoir une vue d’ensemble d’une situation, il faut traiter plusieurs informations à la fois. Mais c’est encore difficile pour un jeune cerveau », dit-elle.

L’amnésie infantile, c’est quoi?

La majorité des adultes situent leurs premiers souvenirs d’enfance entre 3 ans et 4 ans. Avant cela, ils ont presque tout oublié. C’est ce qu’on appelle l’amnésie infantile. En fait, vers 8 mois, les bébés sont capables d’avoir quelques petits souvenirs. Malgré cela, l’enfant devenu adulte aura oublié la fête de son premier anniversaire. Et même tout ce qui s’est passé avant ses 2 ans. Les souvenirs personnels qui se forment dans les deux premières années de vie sont en effet vite envolés. Il ne restera pas grand-chose non plus de la troisième année.

Le tout-petit doit oublier une partie de ses souvenirs pour pouvoir apprendre de nouvelles choses.

La science commence à avoir une bonne idée de ce qui explique ce phénomène, même s’il reste beaucoup à apprendre. Chez l’enfant de moins de 2 ans, l’hippocampe, une région du cerveau, n’est pas encore assez mature pour bien faire son travail de stockage et de récupération des souvenirs. De plus, le cerveau passe son temps à réorganiser les neurones pour devenir plus performant.

« Les nouveaux neurones servent à accueillir les nouveaux apprentissages de l’enfant, nombreux à cet âge, résume Marion Noulhiane, chercheuse en neurosciences au centre de recherche NeuroSpin, en France. Pour faire de la place à ce qui doit être appris, il faut éliminer ce qui n’est plus utile. Cela explique la disparition des souvenirs. »

L’amnésie infantile est aussi causée en partie par la mauvaise maîtrise du langage du tout-petit. En effet, parler d’un événement aide à le garder en mémoire. Or, un enfant qui ne maîtrise pas encore le langage n’est pas capable de raconter ses souvenirs.

Les expériences qu’un enfant a vécues ont-elles un effet plus tard dans sa vie, même s’il les a oubliées? C’est possible. « Si un enfant est maltraité, certaines zones du cerveau peuvent garder des traces des émotions ressenties, dit Marion Noulhiane. Même s’il ne se souvient pas de ce qui s’est passé, cela peut avoir un impact sur sa personnalité et sur son comportement. »

L’aider à se souvenir

Elizabeth parle souvent avec son fils Émile des beaux moments qu’ils ont passés ensemble. C’est une bonne idée! Car même si vous ne pouvez pas décider ce qui restera gravé dans la mémoire de votre enfant, vous avez tout de même une influence.

Lorsque l’enfant dort bien, il retient mieux ce qu’il a appris.

Lorsque vous parlez souvent avec votre enfant de ce que vous avez vécu avec lui et que vous l’encouragez à raconter les choses de son point de vue, vous l’aidez à revivre ses expériences dans sa tête et à mieux structurer son histoire. Il a alors plus de chances de s’en souvenir plus longtemps, selon la professeure et chercheuse Geneviève Cadoret. C’est plus efficace que de seulement le questionner sur les détails des événements vécus. De plus, ceci l’aide à améliorer son langage.

Toutefois, il est aussi possible que des enfants aient des impressions de faux souvenirs. « Il est compliqué de faire la part des choses entre un événement vécu à l’âge de 2 ans dont on se souvient et un événement dont on a vu des photos », conclut la professeure et chercheuse Marion Noulhiane.

À retenir
  • Plus votre enfant grandit, plus il a de la mémoire.
  • La mémoire qui permet de se souvenir d’événements passés (mémoire épisodique) prend plus de temps à se développer que les autres formes de mémoire.
  • La maîtrise du langage aide les souvenirs à se former.

 

Naître et grandir

Source : magazine Naître et grandir, octobre 2017
Recherche et rédaction : Nathalie Vallerand
Révision scientifique : Cindy Beaudoin, neuropsychologue, conseillère principale de recherche, Laboratoire de neuropsychologie développementale ABCs, Université de Montréal et Centre de recherche de l’Hôpital Sainte-Justine

Mise à jour : Octobre 2023

 

RESSOURCES

Site web

Livres pour les parents

  • La mémoire de l’enfant, A.-M. Soprano et J. Narbona, Masson, 2009, 216 p.
  • L’enfant, la musique et la mémoire, R. Kaddouch et M. Noulhiane, De Boeck, 2013, 96 p.

Autre référence

  • Memory :Normative development of memory systems. A. Bouyeure et M. Noulhiane, Handbook of Clinical Neurology, 2020, chapiter 17, volume 173, p. 201-213.
    sciencedirect.com

Photos : GettyImages/Freemixer, Maxim Morin et GettyImages/Sidekick