La conciliation famille-travail, un défi quotidien pour les familles

Même si le télétravail s’est beaucoup répandu depuis la pandémie, concilier famille et travail reste exigeant. Voici quelques défis qui rendent la conciliation famille-travail encore difficile et des pistes à explorer pour l’améliorer.

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8 défis de la conciliation famille-travail

Même si le télétravail s’est beaucoup répandu depuis la pandémie, concilier famille et travail reste exigeant. Voici quelques défis qui rendent la conciliation famille-travail encore difficile et des pistes à explorer pour l’améliorer.

Par Julie Leduc

1. Être organisé c’est bien, mais il faut plus…

La conciliation famille-travail est encore souvent perçue comme une responsabilité individuelle. Or, vous aurez beau être organisé, sans l’aide de votre employeur, c’est difficile d’y arriver! « Les entreprises en font de plus en plus pour la conciliation, mais il y a encore des résistances », remarque Diane-Gabrielle Tremblay, professeure en gestion des ressources humaines à l’Université TÉLUQ.

Au Québec, la majorité des entreprises (85 %) offriraient des mesures de conciliation famille-travail, selon un sondage du Réseau pour un Québec Famille de 2021. Toutefois, plus de la moitié des mesures offertes sont informelles. Or, il faudrait qu’elles soient plus formelles et écrites pour que les parents se sentent à l’aise de les utiliser.

« Même quand les mesures sont écrites, elles doivent surtout être connues du personnel et appliquées », ajoute Diane-Gabrielle Tremblay. Car parfois, même quand des mesures formelles existent, des employeurs résistent. La professeure donne en exemple les pères qui travaillent dans un milieu plus masculin (construction, informatique) qui ont plus de difficulté à demander et à obtenir des congés pour la famille.

Selon elle, le gouvernement devrait faire en sorte que les entreprises offrent plus de mesures aux parents. « On est rendu à faire bouger les choses pour les pères », dit Diane-Gabrielle Tremblay. Ce qui est aussi positif pour les mères, car avoir le soutien de leur conjoint facilite leur conciliation. Un signe encourageant, le ministère de la Famille a investi 1,7 million de dollars en juin dernier pour financer des projets de conciliation en milieu de travail.

La mijoteuse n’est pas une solution miracle! Cuisiner des repas à l’avance est utile, mais ça ne suffit pas.

2. La petite enfance : une période exigeante

La situation d’Olivier et Élise, parents de Jules, 3 ½ ans, et Léo, 1 an, illustre bien la difficulté de concilier famille et travail avec de jeunes enfants. Olivier a un horaire stable de 9 h à 17 h comme technicien dans une clinique orthopédique. De son côté, Élise cumule les contrats de régisseuse, éclairagiste et directrice technique pour des compagnies de théâtre. C’est un défi pour eux de s’organiser avec un horaire variable. « Je dois souvent tout réorganiser parce que les garçons tombent malades! », dit la maman.

« Le manque de contrôle des parents sur l’organisation de leur journée représente en effet un défi, reconnaît Yarledis Coneo, responsable du centre d’expertise Concilivi, un organisme qui accompagne les entreprises dans la mise en place de mesures de conciliation. Chaque matin, c’est la surprise pour savoir s’ils pourront ou non aller travailler. » Elle souligne d’ailleurs que, durant la première année qui suit le retour d’un congé parental, les mères s’absentent du travail en moyenne 16 jours et les pères 8 jours pour prendre soin d’un enfant malade.

À la maison, les parents ont aussi beaucoup de tâches, car à cet âge, les enfants sont moins autonomes et demandent beaucoup de soins et d’attention. « Ça fait 2 ans que je n’ai pas vu le fond de notre panier de lavage », note Élise.

L’accès à une garderie représente un autre défi. « Pour le moment, nos garçons vont dans deux services de garde différents », indique Olivier. Ça ajoute des déplacements et leur prend plus de temps. Dans d’autres familles, la pénurie de places en garderie empêche même des parents, surtout des mères, de retourner travailler.

3. Le partage pas toujours égal des tâches

Mélissa est infirmière et son conjoint, Jérémie, est frigoriste dans le domaine de la construction. Elle a un horaire de 4 jours par semaine de 8 h à 16 h. Lui travaille très tôt le matin ou parfois de nuit. Pas le choix pour eux d’être bien organisés avec leurs filles : Évelyne, 5 ans, et les jumelles Ophélie et Marianne, âgées de 3 ans. « Si je prépare le souper, Jérémie donne le bain aux filles, dit la maman. On y va avec nos forces pour être efficaces. » Souvent, elle cuisine des repas à l’avance le dimanche. « Pendant ce temps, je joue dehors avec les filles, dit Jérémie. Je les implique aussi dans certaines tâches, par exemple, on a fait le jardin ensemble! »

Même si, comme Jérémie, les pères s’impliquent de plus en plus, les mères en font encore davantage. Elles passent environ 5 h 30 par jour à faire des tâches domestiques et à prendre soin des enfants. Les pères, eux, y passent près de 4 h. À cela s’ajoute la charge mentale, c’est-à-dire la planification de la vie familiale (liste d’épicerie et choix des menus, inscriptions, prise de rendez-vous, etc.). Cette responsabilité constante augmente le stress et la fatigue, et ce sont très souvent les mères qui la portent. « C’est moi le cerveau de la famille, avoue Mélissa. C’est difficile de ne pas pouvoir le passer à quelqu’un d’autre! »

Guylaine Deschênes, psychologue organisationnelle, propose une solution pour améliorer le partage de la charge mentale dans le couple. Elle suggère de se répartir les responsabilités à la manière d’un gouvernement. « Les parents peuvent s’attribuer différents “ministères”, par exemple : finances, santé, alimentation… Le parent “ministre” de la santé s’occupe de prendre les rendez-vous médicaux. Celui qui est “ministre” de l’alimentation prévoit les repas et fait la liste d’épicerie. »

4. Baisser ses attentes

S’entraîner pour un 10 km, inscrire les enfants à des cours et des activités, cuisiner des repas santé chaque jour… Parfois, le désir de performance des parents surcharge l’horaire et complique la conciliation famille-travail. « Il est préférable de faire moins d’activités, mais d’en profiter plus. Un parent moins à la course est plus détendu et disponible pour son enfant », dit la psychologue Guylaine Deschênes.

Mélodie, maman d’Alexis, 5 ans, et Olivia, 2 ans, reconnaît qu’elle ne peut pas donner son 100 % partout en même temps. « Il y a des jours où je trouve que je n’ai pas assez joué avec les enfants, mais j’essaie de m’enlever la pression d’être un parent parfait », dit-elle.

Les parents qui recherchent la perfection sont à risque d’anxiété, de dépression et d’épuisement, avertit Guylaine Deschênes. Elle les encourage à diminuer leurs attentes. « On a le droit de passer la balayeuse moins souvent, de déléguer des tâches et d’acheter des plats préparés de temps en temps, dit-elle. C’est bon aussi d’essayer de faire, chaque jour, quelque chose qui nous fait du bien. »

Si vous vous sentez irritable, impatient ou débordé, n’hésitez pas à demander de l’aide à votre partenaire ou à votre entourage. « Quand c’est possible, prendre une demi-journée ou une journée de congé du travail peut aussi aider à recharger les batteries », note la psychologue. Consulter un professionnel pourrait aussi être bénéfique si vous en ressentez le besoin.

5. Le télétravail n’est pas pour tout le monde

Travailler à partir de chez soi permet notamment de passer moins de temps dans les transports et donc de gagner du temps. Toutefois, ce ne sont pas tous les parents qui peuvent faire du télétravail. Selon Statistique Canada, seulement 40 % des emplois au pays s’y prêtent. De plus, ce n’est pas la mesure la plus appréciée des parents.

Ce qui les aide le plus, selon Yarledis Coneo de Concilivi, ce sont les congés payés pour responsabilités familiales. Actuellement, la loi sur les normes du travail donne le droit de s’absenter 10 jours pour des raisons familiales, avec seulement 2 jours payés. Certains employeurs offrent plus de congés payés pour les imprévus. « D’autres offrent une banque spéciale de congés payés aux parents durant la première année après leur congé parental, indique Yarledis Coneo. Malheureusement, cette mesure est rare. »

Avoir un horaire flexible aide aussi à composer avec les imprévus. Cela permet de commencer et de finir aux heures de son choix, à condition d’effectuer le nombre d’heures de travail prévu. Avoir un horaire réparti sur deux semaines avec une semaine de 35 heures et une autre de 40 heures est aussi apprécié, notamment des parents séparés qui ont leurs enfants en garde partagée.

La clé pour faciliter la conciliation, c’est de combiner les mesures. Par exemple, avoir un horaire flexible, une journée de télétravail par semaine et des congés payés si notre enfant tombe malade. Et l’idéal, c’est que les deux parents puissent en profiter.

6. Diminuer l’impact de la conciliation sur les mères

Encore aujourd’hui, les mères s’absentent plus souvent du travail pour s’occuper des enfants. De plus, plusieurs femmes occupent des postes qui se prêtent bien au télétravail et préfèrent travailler de leur domicile. Mais cela comporte des dangers, soutient Diane-Gabrielle Tremblay. « Comme elles sont à la maison, les mères en télétravail se retrouvent souvent à faire plus de tâches que leur partenaire, note-t-elle. Il y a aussi un risque pour leur carrière. Comme elles sont moins visibles, les gestionnaires peuvent penser qu’elles ne sont pas disponibles et ne pas leur proposer de meilleurs dossiers ou des postes plus exigeants. »

Il est avantageux de mettre les choses au clair avant d’avoir des enfants et de viser l’égalité comme le font Mélodie et Rodolphe. « Mon travail est aussi important que le sien, dit la maman. On essaie d’être le plus égal possible. On fait tous les deux du télétravail et, chaque jour, un parent va porter les enfants à la garderie et l’autre va les chercher. »

7. Les parents n’ont pas tous les moyens de travailler moins

« Durant la pandémie, ma clinique avait un horaire réduit et je finissais plus tôt, raconte Olivier. Avec seulement une heure de plus, j’étais moins à la course! J’avais le temps de jouer avec mon plus vieux. » Idéalement, le papa aimerait travailler seulement quatre jours par semaine. « On y pense, dit sa conjointe Élise, mais il faut évaluer notre budget. »

Certains parents choisissent en effet de travailler à temps partiel, d’accepter un moins bon salaire ou d’arrêter de travailler un moment pour concilier leurs responsabilités familiales. Une décision qui peut toutefois créer une précarité financière, particulièrement dans le contexte économique actuel. En plus d’une baisse de salaire, ce choix peut nuire au parent qui a le moins travaillé en cas de séparation et avoir un impact sur ses revenus de retraite.

Les mères sont aussi plus souvent désavantagées, car c’est habituellement le parent qui gagne le moins qui diminue ses heures. Et au Québec, les femmes gagnent en moyenne 2,77 $ de moins à l’heure que les hommes.

Mettre sa carrière sur pause pour la famille peut aussi être un piège et rendre le retour sur le marché du travail difficile. « Les parents ne devraient pas avoir à choisir entre leur famille et leur travail », estime Yarledis Coneo de Concilivi. Surtout que les mesures de conciliation comportent des avantages pour les entreprises. « C’est un atout pour recruter et garder du personnel, et ça augmente la satisfaction au travail », ajoute-t-elle.

8. La situation plus compliquée de certains parents

La conciliation comporte des défis supplémentaires pour les familles monoparentales, les parents immigrants, ceux qui ont des enfants aux besoins particuliers ou qui travaillent selon un horaire atypique. Actuellement, l’horaire de la plupart des services de garde ne répond pas aux besoins des parents qui commencent, par exemple, très tôt, qui travaillent le soir, la nuit ou qui ont un horaire irrégulier. Jérémie et Mélissa se comptent chanceux d’avoir une grand-mère tout près pour aider lorsque la maman est de garde le soir et la nuit et que le papa n’est pas là.

La situation est différente pour Mélodie. Même si ses parents l’aident régulièrement, ils vivent à une heure de route. Quant aux parents de son mari, qui a immigré de La Réunion, ils y vivent toujours. « On s’est habitués à ne pas toujours recevoir l’aide de notre entourage, dit la maman. Ça nous a amenés à ne compter que sur notre couple et à partager le plus possible les responsabilités de la famille. » Par exemple, leur fille Olivia a des défis de développement qui nécessitent des rendez-vous avec des spécialistes. Ils l’accompagnent chacun leur tour aux rendez-vous. « C’est important pour partager l’impact sur notre travail, dit Mélodie. Et cela fait en sorte que nous sommes tous les deux impliqués dans le suivi de notre fille. »

« Les parents peuvent aussi se tourner vers des ressources communautaires », rappelle Sofie Therrien, directrice générale adjointe de la Fédération québécoise des organismes communautaires Famille. En faisant appel à une halte-garderie, une cuisine collective ou un service d’aide aux devoirs, les parents peuvent obtenir du soutien et du répit en plus de créer des liens avec d’autres familles.

Les parents qui vivent une situation particulière gagnent aussi à parler de leurs besoins à leur employeur. « Les gestionnaires peuvent accepter d’offrir des accommodements à certains employés, croit Yarledis Coneo. Il faut oser en parler. »

À retenir
  • L’implication des employeurs est indispensable pour faciliter la conciliation famille-travail.
  • La petite enfance est une période exigeante durant laquelle on gagne à baisser ses attentes et à se répartir équitablement les tâches et la charge mentale.
  • Une combinaison de mesures, comme un horaire flexible, du télétravail et des congés payés, est ce qui aide le plus.

 

Naître et grandir

Source : magazine Naître et grandir, septembre-octobre 2022
Recherche et rédaction : Julie Leduc

 

RESSOURCES

 

Photos (dans l’ordre) : GettyImages/Studiostockart, Nicolas St-Germain, GettyImages/Sturti, Maxim Morin, GettyImages/mapodile, Adobe/Cavan images, GettyImages/PeopleImages, GettyImages/Fly View Productions