Le pire sentiment du monde

Le pire sentiment du monde
Le sentiment qu’un parent ne veut jamais ressentir : celui de ne pas aimer ses enfants de façon égale.

Au début, on était 2. Et nous avons décidé qu’on était une pas pire équipe et qu’on avait ce qu’il fallait pour se faire 3. Et bébé 1 arriva. Parfait, on était officiellement une famille.

Un an et des grenailles plus tard, on se dit que 4, ça serait pas fou. On déménage, on fait ce qu’il faut et voilà, bébé 2 est en route. Tout se passe sensiblement pareil comme lorsque bébé 1 était en formation, sommeil et repos en moins. Et le membre 4 de la famille finit par arriver, apportant malgré lui le pire sentiment du monde...

Ce sentiment qu’un parent ne veut jamais ressentir. Celui de ne pas aimer ses enfants de façon égale. Je dirais même pire, celui de vivre une insoutenable indifférence.

Tu étais désiré mon coco. Le problème n’était pas là. Le problème, c’était moi. Nous avions, depuis plus de 2 ans, travaillé fort pour faire de notre petite famille la chose la plus belle du monde. Deux ans pendant lesquelles nous avons développé notre relation ton grand frère et moi. La complicité s’est subtilement et doucement installée; on se comprenait et c’était magnifique. Et tout d’un coup, notre confortable routine venait de prendre une nouvelle tournure.

Tu arrivais, comme un de mes cheveux que je voyais tomber depuis 9 mois sur la soupe, sans prendre conscience de ce qui allait réellement se passer.

J’étais incapable d’assimiler le concept que je devais à présent diviser mon amour.

Je me suis senti tellement coupable, le pire père du monde. Coupable de ne pas être capable de revivre cette frénésie presque magique que procure l’accouchement d’un premier enfant. Je voyais tous ces blogues, tous ces statuts Facebook qui vantaient l’amour au premier regard, l’amour inconditionnel. J’avais beau me parler, me dire que ça allait passer, mais il y avait toujours ce « si ». Et si j’allais tout briser en n’étant pas égal avec chacun de mes fils? Et si ce déclic absent allait gâcher cette relation père-fils?

Je dormais mal.

J’avais chaud.

Je pensais trop.

Mais la vie fait bien les choses. Tu as souri à mes niaiseries. Tu t’es endormi dans mon cou. Tu as serré mes gros doigts dans tes petites mains. Tu as pleuré la nuit et je t’ai consolé. On s’est tiraillé pour finir ça en chatouilles. On a dormi ensemble. Bref, on a forgé notre amour. On a fini par se connaître. Et l’amour inconditionnel, qui prenait son trou depuis le début, s’est finalement levé, pour mériter le « C » du capitaine qu’arborait son chandail et, enfin, prendre sa place. Ce « C » qui me pousserait à faire l’inimaginable rien que pour entendre ton rire qui mouille mes yeux.

J’ai fini par comprendre que je n’avais pas à diviser mon amour, mais que je le multipliais. Que tu le rendais plus grand, plus fort. Et qu’au fond, toi aussi, dans ton petit moïse à l’hôpital, tu devais me regarder, à travers le flou de tes quelques heures et te demander « hum, ok, ça fait que c’est toi mon père?! ».

 

3 février 2017

Naître et grandir

 

Photo : GettyImages/Onfokus

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