Durant la grossesse, nous rêvons de la mère en nous. Notre «mère rêvée» serait toujours soutenante, aimante, patiente, compréhensive…
Je me souviens du moment fébrile où nous étions penchés sur le petit carré de plastique, à attendre l’apparition d’une croix rose révélée par quelques gouttes d’urine. À partir de cet instant, on a commencé à tapisser nos âmes de toutes sortes d’images sur la maternité et la paternité; sur les bébés, les enfants et les grandes familles.
Durant la grossesse, nous avons aussi rêvé de la mère en nous. Notre «mère rêvée» serait toujours soutenante, aimante, patiente, compréhensive. Dans nos scénarios intérieurs ne figuraient pas la course du matin pour la garderie, les montagnes de linge sale et le manque de sommeil. Nous n’avons pas songé que nous perdrions notre calme en hurlant après nos enfants. Pas un seul instant, l’idée nous est venue que nous serions tentées de les frapper et que, peut-être, nous les frapperions réellement. On n’avait pas imaginé la fatigue, la dépression, la perte d’emploi, les difficultés financières. Pas évoqué une seule seconde la séparation. Et pourtant, tout cela est peut-être survenu.
Chaque nouveau repli de la réalité semblait éloigner un peu plus celle que j’avais imaginée. Comme il m’en a coûté de renoncer à cette mère parfaite, toujours en contrôle, qui sait toujours quoi faire et connaît toutes les réponses.
Je n’ai pas été si souvent celle qui «ferait tout pour ses enfants», alors que cette image était une des premières de ma mère rêvée. Mais j’ai fait pour eux le plus que j’ai pu et ça leur a permis d’apprendre à faire aussi pour eux-mêmes. J’ai été tellement moins zen que je l’aurais voulu! Et ça nous a permis des fous rires incroyables, des aventures mémorables et des dizaines d’occasions d’apprendre à résoudre un conflit.
Ma mère rêvée aimait mieux jouer avec les enfants que faire n’importe quoi d’autre. Mais j’ai souvent été chercher le panier de vêtements à plier dès leur arrivée de l’école. Et ça me donnait le petit moment dont j’avais besoin avant de plonger avec eux.
J’ai fait de mon mieux. Oh, je sais bien que la mère rêvée trouve que ce n’est pas suffisant! Mais elle n’y connaît rien. Cette mère rêvée ne connaît rien du plaisir de faire un concours de pets le samedi matin! Elle ne sait pas essuyer la morve d’un tout-petit avec la manche de son chandail. Ni hurler de plaisir en glissant de la butte, avec un enfant entre les cuisses. Ni pleurer des torrents dans la salle d’attente d’une clinique avec son bébé fiévreux.
J’ai appris avec le temps que les liens si puissants qui me retiennent à mes enfants sont finalement faits de pets, de morve et de fous rires; de cris et d’excuses; de douleur et de soulagement.
La vraie mère en moi est sans doute moins parfaite que la rêvée, mais elle a un cœur attendri et plein de compassion pour toutes les vraies mères comme elle!
19 février 2016
Photo : iStock.com/AleksandarNakic