« ÉMILE NE JETTE PAS DE SABLE SUR LE BÉBÉ! NON! SARAAAAAAAH, LÂCHE CETTE PELLE. ARRÊTE DE PLEURER! »
La petite rousse aux cheveux bouclés, au nez mouillé et aux amygdales en feu redouble de pleurs. Sa mère baisse d’un ton et lui murmure d’une voix douce : «Allez ma chérie, rends la pelle à la petite fille, sois gentille, c’est la sienne. Tu sais Sarah, maman t’a déjà expliqué, on ne prend pas les affaires des autres». Sarah se roule par terre en hurlant avec la pelle serrée dans ses mains. À coup d’arguments compliqués et de bisous mouillés, la pauvre mère finit par calmer sa fille, rendre la pelle à la petite Camille et rejoindre le groupe de mamans qui discutent à deux pas de moi.
Je les écoute et je souris, assise sur mon petit banc. Les années passent et quels que soient les parcs dans lesquels j’amène mes enfants, les maux et les mots restent fidèles à eux-mêmes : les crises en public, le sevrage de l’un, le rhume de l’autre, le premier caca sur le pot, les premiers mots, les nuits blanches, les coliques, les mastites, etc.
Au fil du temps, les pères sont venus gonfler les rangs de ce petit univers de bac à sable. Aujourd’hui, ils sont cinq. Ils bougent plus qu’ils ne parlent. Ils courent après leurs enfants ou ceux des autres (tant qu’à courir!). Ils tendent leurs bras, jouent à la cachette, font de gros châteaux de sable, tout en imitant des monstres qui mangent les petits enfants. La pauvre Sarah se remet à pleurer de trouille, mais comme l’objet de ses frayeurs est déjà ailleurs et que personne ne la regarde, elle continue de faire son pâté avec la pelle de la petite Camille!
Quand leur petit trébuche et s’écrabouille le nez sur le sol, les papas disent : « debout, c’est pas grave ». « Papaaaaaaaa, ze saigneeeee ». Ils répondent, imperturbables, « allez va jouer, c’est pas grave je te dis, on verra ça à la maison ». Les petits bobos ne les impressionnent pas. Ils ne s’embarrassent pas des détails, ni de longues explications. La couleur des vêtements n’est pas un sujet de conversation. Bref, ils ne s’enfargent pas dans les fleurs du tapis. Ils avancent droit devant. Ça doit être reposant.
En flirtant avec cette pensée, je lance à mon homme, qui est en train de creuser des tunnels dans le sable avec nos enfants : « J’avoue qu’il y a des jours où je vous envie, vous les hommes. Si nos enfants n’avaient pas fait de moi leur maman, j’aurais bien aimé être leur papa. »
- Pourquoi? me répond-il d’un ton amusé.
Mon fils lève la tête et dit : Moi, je sais!
Intrigués, on lui demande pourquoi.
Il se met à crier :
- PARCE QUE MAMAN VEUT UN ZIZI!!!
12 octobre 2010