La recommandation officielle est de privilégier l’allaitement exclusif jusqu’à ce que bébé ait 6 mois. Sauf que…Ma fille a reçu sa première cuillère de nourriture le jour de ses 6 mois. J’étais à cheval sur les principes, vous dites? Pas à peu près! Mon fils, lui, a commencé les céréales vers 5 1/2 mois. Il avait faim, bon! C’était il y a 11 ans et 9 ans. Que ferais-je si j’avais un bébé aujourd’hui?
La recommandation officielle est de privilégier l’allaitement exclusif jusqu’à ce que bébé ait 6 mois. Sauf que…
J’ai discuté de ce « sauf que » avec des experts de divers horizons. Premièrement avec Louise Lambert-Lagacé. C’est la nutritionniste qui a guidé ma mère pour me nourrir quand j’étais bébé, et peut-être la vôtre également. Elle a plus d’années d’expérience en alimentation des bébés que j’en ai dans la vie!
« Dans les années 70, le peu que l’on savait sur l’alimentation des bébés disait d’attendre au moins 4 mois avant de leur offrir des aliments solides, afin qu’ils puissent avaler et digérer les aliments correctement. Plusieurs mamans commençaient tout de même vers le 2e ou 3e mois, soit parce qu’elles trouvaient ça long d’attendre, soit parce qu’elles écoutaient certains médecins disant que les enfants pouvaient manger à quelques semaines à peine », se souvient Louise Lambert-Lagacé. Elle raconte avoir écrit le livre Comment nourrir son enfant, en 1974, pour remettre les pendules à l’heure.
Pourquoi 6 mois?
Au début des années 2000, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé l’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois. Comme le faisait déjà l’Unicef, d’ailleurs.
Louise Lambert-Lagacé explique que cette prise de position tient au fait que l’OMS doit favoriser la survie des bébés dans des pays en développement : « Il y a des endroits où c’est plus dangereux d’offrir d’autres aliments. Ce n’est pas le cas en Amérique du Nord, mais pourtant, les sociétés canadiennes et américaines de pédiatrie ont voulu suivre et ne pas contredire l’OMS. »
Professeur de pédiatrie et d’épidémiologie à l’Université McGill, le Dr Michael Kramer est aussi une sommité mondiale en matière d’allaitement. Il mentionne également que la recommandation des 6 mois est basée sur une revue de littérature scientifique qui démontre clairement que dans les pays en développement, l’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois protège mieux le bébé contre les infections.
« Si tous les bébés dans le tiers monde étaient allaités jusqu’à 6 mois, on sauverait beaucoup de vie », ajoute-t-il. L’hygiène ainsi que la qualité de l’eau et des aliments offerts aux bébés étant supérieures en Amérique du Nord, le Dr Kramer soutient que cet argument n’a pas la même valeur ici.
Chaque bébé est unique
L’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois convient à plusieurs bébés et moins à d’autres. « On ne peut pas choisir un chiffre qui s’applique à tout le monde. Ce serait plus simple, mais ça ne fonctionne pas comme ça », confirme le Dr Kramer. Que bébé soit allaité ou nourri au biberon, il est possible qu’à partir de 4 mois, il montre tous les signes qu’il est prêt à commencer à manger. Voici les signes :
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Le lait maternel ou la préparation pour nourrissons ne sont plus suffisants pour rassasier bébé, même lorsqu’il en boit une plus grande quantité, et cela, depuis plusieurs jours consécutifs.
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Il se tient assis sans aide et est capable de se pencher vers l’avant.
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Il est capable de porter des aliments (ou des objets) à sa bouche et essaie de mâcher.
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Il soutient et contrôle sa tête pour la tourner et faire « non » de la tête.
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Il est capable de repousser une cuillère avec sa main pour signifier qu’il n’a plus faim.
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Il démontre de l’intérêt envers les aliments.
Le « à partir de 4 mois » est important, puisque l’introduction trop précoce des aliments complémentaires peut nuire à sa santé. Le « tous les signes » est important également, car cela confirme que bébé est physiquement prêt à manger et qu’il est capable de communiquer pour qu’on le nourrisse adéquatement. C’était vrai en 1974, lorsque Louise Lambert-Lagacé a écrit Comment nourrir son enfant. Ça l’était encore en 2016, quand j’ai écrit Bébés - 21 jours de menus.
Zone grise
« L’analyse de toute la littérature scientifique dans les pays nordiques démontre qu’il est clair que l’introduction des aliments doit se faire entre 4 mois et 6 mois, mais ce n’est pas clair s’il y a une différence entre les deux, c’est-à-dire s’il y a des avantages à l’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois », explique Phyllis Rippey, professeure agréée en sociologie à l’Université d’Ottawa.
Dans certains cas bien précis, il y aurait plutôt des bénéfices à offrir des aliments complémentaires entre 4 mois et 6 mois plutôt que d’attendre à 6 mois. On pense notamment aux arachides, puisque cela diminue les risques d’allergies. Mme Lambert-Lagacé stipule également que cela pourrait réduire le risque que bébé développe une paresse face aux textures. Elle a rencontré tant de bébés qui refusaient de mastiquer et de manger des aliments avec texture, parce que ceux-ci arrivaient trop tard dans leur vie !
Bonnes mamans
Le bébé est au coeur de cette histoire d’allaitement exclusif et d’introduction des aliments, bien sûr. Cela dit, tous les experts à qui j’ai parlé ont spontanément mentionné se préoccuper aussi des mamans. « Les femmes sentent qu’elles doivent réussir leur allaitement pour être une bonne mère. Elles vivent de la culpabilité et de la frustration quand elles n’y arrivent pas, et c’est, entre autres, créé par la pression qu’exercent certains intervenants de la santé sur elles », souligne Chantal Bayard, sociologue doctorante à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Et comme me l’a dit le Dr Kramer, il y a bien d’autres façons d’être une bonne mère!
Donc, que ferais-je si j’avais un bébé aujourd’hui? Je l’écouterais et je m’ajusterais à notre réalité. Je ferais de mon mieux, avec tout mon amour.
22 novembre 2017
Photo : GettyImages/Ivanko_Brnjakovic