Une grossesse «pas joyeuse», un tabou

Une grossesse «pas joyeuse», un tabou
Rendue au milieu du deuxième trimestre, le bonheur incontournable de la maternité que Facebook et autres médias déversent partout ne t’habite pas du tout. Le pire, je le vois bien, c’est que tu t’en veux.

Chère Amélie, l’autre jour au resto, tu avais la mine basse. Pendant que tout le monde te demandait les résultats de ta dernière échographie, j’ai bien vu que ça ne te tentait pas du tout d’en parler.

Je veux te dire à quel point je suis contente que tu n’aies pas fait semblant de vivre une grossesse fabuleuse! Ça nous a tous et toutes permis d’être avec toi et de t’entendre, plutôt que de passer tout droit en te laissant seule avec ta peine. Ce n’est pas les résultats de l’échographie qui te rendent triste, c’est quelque chose d’autrement plus difficile à nommer : la joie n’est tout simplement pas au rendez-vous de cette grossesse.

Rendue au milieu du deuxième trimestre, le bonheur incontournable de la maternité que Facebook et autres médias déversent partout ne t’habite pas du tout. Le pire, je le vois bien, c’est que tu t’en veux. Ton amoureux t’adore, ce bébé est le fruit d’un désir mûrement réfléchi, tu gagnes bien ta vie, ta famille t’entoure... Tu te dis que tu devrais être parfaitement heureuse. Dans l’incompréhension qui t’habite, tu te fouettes en espérant remettre les choses « comme il faut ». Mais c’est le contraire qui se produit : la honte et la culpabilité n’ont jamais permis à personne d’aller mieux.

Tu te demandes où se trouve l’amour maternel que tant d’autres femmes racontent; où sont les élans d’amour inconditionnel qui remplissent les pages des réseaux sociaux; où sont les étoiles dans les yeux et les soupirs de bonheur. Dans le silence de ton cœur, tu te répètes que les petits coups de pieds de cet enfant à naître devraient t’émouvoir au lieu de te tomber sur les nerfs. Est-ce qu’on ne l’écrit pas partout? Peut-être crois-tu que tu n’es pas normale; que quelque chose cloche chez toi et que... peut-être... ça veut dire que... tu ne seras pas une bonne mère.

Stop. Arrêtons le hamster qui tourne de plus en plus vite dans ta tête.

Ce n’est pas une équation et nos qualités de mère ne tiennent pas au nombre de fois où nous avons été émues pendant la grossesse. Tu es toujours la même jeune femme formidable qu’avant ta grossesse! J’honore au plus haut point ce courage et cette audace qui t’ont si souvent permis de te relever et de faire face aux changements. En nous parlant de tes sentiments liés à cette grossesse, ils serviront leur office encore une fois.

Ma belle Amélie, je veux que tu saches que tu n’es pas la seule à connaître une grossesse comme celle-là. Parfois, les femmes portent bien plus que leur bébé pendant la grossesse. L’enfantement, c’est peut-être l’expérience de transformation la plus puissante et profonde qu’une personne puisse vivre. Elle plonge ses racines dans chaque parcelle de notre histoire, commencée bien avant notre naissance. Dans chaque idée, chaque croyance, chaque espérance aussi.

Porter un enfant et le mettre au monde soulève chacune des pierres sous lesquelles nous avons caché nos peurs, nos déceptions et nos doutes. Ne doute pas que, pour beaucoup d’entre nous, ce n’est pas un pique-nique.

Je suis contente d’apprendre que tu as contacté un centre périnatal communautaire. Tu y trouveras des femmes qui savent les mots et les gestes qui permettent de traverser ces torrents tumultueux qui jaillissent parfois de sous ces pierres soulevées. La maternité demeure le plus redoutable des actes de création puisque, d’une certaine façon, c’est encore nous que nous mettons au monde; nous-la-mère, nous-la-femme, nous-qui-ne-serons-plus-jamais-les-mêmes. Qui, alors, aurait l’audace de prétendre qu’il n’y a pas autant de routes que de femmes qui y avancent!

Avec la même bravoure et la même hardiesse que tu manifestes depuis si longtemps, tu vas ouvrir ton cœur et accueillir cette jeune femme remarquable que tu es et qui est en train de soulever la montagne de sa vie afin qu’un être humain puisse jaillir vers la lumière. Si cette tâche ne mérite pas toute ta compassion, alors je ne sais pas ce qui la mérite!

 

16 février 2017

Naître et grandir

Photo : GettyImages/Dean Mitchell

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