Étienne et Virginie: histoire d’une naissance

Étienne et Virginie: histoire d’une naissance
Par Geneviève Doray, Directrice, Naître et grandir

Touchée par les mots de cette maman qui nous fait revivre les dernières heures de sa troisième grossesse, j’ai eu envie de partager son témoignage avec vous.


Jeudi matin, environ 5 h
Des douleurs dans le bas du ventre. Le jour est levé, je regarde à côté de moi… Tiens, ton grand frère a pris la place de Papa. Je me lève sans bruit. Des contractions se font sentir toutes les 15 minutes. Je m’en vais prendre un bain, vais-je partir ce matin pour faire ta rencontre?

7 h
Plus rien. Je ne partirai pas ce matin. La journée se passe, une contraction par-ci, par-là. Mon plus vieux se demande si mon bébé est encore dans mon ventre… Eh oui, il y est.

Je caresse ce ventre rond, pour les dernières fois. J’aime ce ventre, te savoir là en moi. J’aime voir ce même ventre se soulever d’un côté puis d’un autre. J’aime deviner si c’est ton talon, ou tes petits orteils. J’aime ces soirées où avec ton papa, on passe du temps à te parler, à te sentir, avec cette admiration chacun dans nos yeux. À l’idée qu’une vie est là dans mon être, je me sens si petite devant ce mystère et en même temps si grande et si fière d’être une femme et d’avoir la chance, cette chance si précieuse de porter la vie.

Et soudain, les larmes m’inondent. La fin de nous deux en moi. Je ne peux pas y croire. C’est une tristesse inexplicable que je ressens, comme si je me préparais à faire un deuil. J’ai porté la vie 3 fois, tu es la dernière que je porterai dans cette vie. Du haut de mes 30 ans, je me demande s’il est possible de vivre encore des instants aussi merveilleux et magiques que celui de porter et de donner la vie. Je sèche ces larmes, me ressaisis en pensant à toi dans mes bras ce soir… Je dois déjà me concentrer pour accoucher naturellement comme pour tes frères. Ils ne me toucheront pas avec leur grosse aiguille… pas moi! Nos grands-mères, nos mères, et toutes les autres l’ont fait alors je suis capable aussi, la nature est bien faite, faisons-lui confiance.

17 h
Les contractions recommencent toutes les 15 minutes. Me revoilà dans mon bain. Cette fois-ci, elles persistent et signent ta venue imminente.

18 h 30
Le futur papa veut partir à l’hôpital. À moi de lui répondre d’attendre qu’elles soient toutes les 5 minutes, sinon ils vont nous renvoyer à la maison aussi vite qu’on est arrivés. Il gagne, je capitule, allons-y, nous verrons bien. Nous voilà arrivés. Dans le stationnement, un homme nous félicite déjà! Attendez qu’il soit sorti! Arrivés à l’accueil de la maternité, on nous envoie dans la salle d’attente où une future maman fait ses respirations. Et moi, je la suis dans cet exercice si simple et pourtant si fastidieux en cet instant précis. Sur le bord d’accoucher, et mise en attente, je crois rêver... Y a-t-il une lune pour que toutes les mamans soient là ce soir?

19 h 30
Contractions toutes les 5 minutes, on a bien fait de prendre de l’avance finalement. Mon nom retentit enfin dans le haut-parleur… Ouf, ça ne fait que 15 minutes, mais j’ai l’impression que ça fait plus. L’infirmière m’ausculte enfin. Elle me pose des questions, et m’annonce que le col est dilaté à 5! Le travail est effectivement commencé! Encore une, ok, on respire, on sent les fleurs, on souffle les bougies… Courage ça ne fait que commencer. Concentrons-nous. Mon infirmière vient me chercher et m’installe dans ce qui va être, temporairement, ta première chambre. J’ai mal dans le bas du dos. Trois minutes plus tard, j’ai mal dans le ventre. Respire ma Nini, respire. Ouf, encore une de passée, elles sont assez fortes. L’infirmière écoute ton cœur, tout va bien. Elle me surveille, me dit que je fais bien ça, ma respiration est bonne. Ok me voilà en confiance. Je fais ça bien, et je dois continuer ainsi.

Vincent, lui, trouve ça amusant et me dit que c’est pas mal moins stressant… Ben oui, ouille! Encore une! Allez, sens les fleurs, souffle les bougies, on continue. C’est sûrement moins stressant, mais ça n’en est pas moins douloureux. Cesse tes niaiseries, et tiens-moi la main à la place! Ok, elle est passée, je reprends le sourire. Encore une de faite, et encore une minute plus proche de toi!

Le jour se couche dehors, le ciel lumineux, orange vif, nous annonce encore une belle journée pour demain. Je rêve déjà que dans quelques heures, tu seras dans mes bras.

21 h
De plus en plus intenses, les contractions sont nombreuses et très rapprochées, 1 minute, 2 minutes, tout devient intense. Mon infirmière est d’une douceur exemplaire, elle m’encourage, me félicite. Elle a bien trouvé sa vocation. Me voilà dans ma bulle. C’est le moment où… oh, j’ai mal au cœur… Une poubelle vite! Non, c’est bon, fausse alerte. Donc c’est le moment où je peux me coucher enfin. J’ai dû faire 10 km depuis qu’on est dans cette chambre. Là je veux m’allonger, fermer mes yeux, partir dans un monde merveilleux où moi seule peux avoir accès. Je me tortille. J’ai mal. Je crois que je broie la main de Vincent avec une force qui me dépasse. Mais pour l’instant, ce n’est pas mon souci, et si j’y repense je m’excuserai peut-être! Mais après tout, si je suis ici à me tortiller comme un ver, c’est en partie sa faute, je peux bien lui broyer une de ces mains! Le docteur vient me voir. J’arrive au bout… Je n’en reviens pas, tu seras bientôt dans mes bras.

21 h 35
Je ne sais plus comment m’installer, la douleur est ininterrompue, ce moment fou dans ma vie de femme restera gravé pour toujours dans ma tête. Les infirmières s’agitent et préparent tout le nécessaire.

21 h 40
Tel un raz de marée, que je ne comprends pas tout de suite, la poche des eaux se crève. Comme ça d’un coup, pof! Concentration, moment critique, vite sens les fleurs, souffle les bougies… plus que quelques minutes et toi mon bébé que j’ai porté 9 mois, que j’ai flatté affectueusement à travers mon ventre, à qui j’ai parlé dans l’invisible, tu seras une réalité pour le reste de ma vie, de nos vies.

21 h 45
Bébé est sur mon ventre, tout petit, fébrile. Ventre contre ventre, après quelques secondes d’admiration, je te soulève enfin… et que vois-je?? Un zizi! Je m’exclame, entre rires et larmes de joie, c’est un garçon, encore un, c’est Étienne. Je regarde le nouveau papa, heureux, fier, les yeux pleins d’eau lui aussi. Nos regards se croisent, puis on te regarde, nous sommes tout simplement heureux. Papa coupe le cordon, qui sonne la fin de notre belle fusion. Ce cordon qui nous unissait, par lequel je t’ai nourri tout ce temps. Et lui en un coup de ciseaux, il met un terme à notre vie commune. Je le regarde faire avec déchirement. Je veux l’empêcher de couper ce lien unique entre un bébé et sa maman. Clac!! Au placenta de quitter mon corps aussi. C’est fait, cette union est finie. Une nouvelle étape commence : la vie.

Nous ne faisons plus un, nous sommes deux personnes à part entière.

Tu es Étienne.

Je suis mère, femme, je suis à nouveau et simplement Virginie.

Virginie Daries, Québec

 

29 août 2013

Naître et grandir

Partager