Le tabou du cododo

Le tabou du cododo
Le tabou du cododo
Des parents qui font du cododo avec leur bébé n’en parlent pas de peur de se faire juger.

19 mai 2023 | Vous avez fait du cododo avec votre bébé? Comme plusieurs parents, vous avez peut-être hésité à en parler à vos proches ou à votre médecin.

Au Canada, le partage du lit avec un bébé est généralement déconseillé par les professionnels de la santé puisqu’ils le considèrent comme non sécuritaire. Pourtant, cette pratique est courante : une mère sur trois a déclaré en 2015-2016 que son bébé avait fréquemment partagé un lit avec elle ou une autre personne. Une journée de réflexions a d’ailleurs été consacrée au cododo lors des dernières Journées annuelles de santé publique.

Les parents qui font du cododo avec leur bébé hésitent à en parler ouvertement, a observé Anne-Marie Rouillier, anthropologue et chercheuse postdoctorale. Dans le cadre de ses recherches sur les choix des parents concernant l’alimentation de leur bébé, elle s’est aussi intéressée au sommeil.

« J’ai rencontré plusieurs familles qui se sont confiées sur le défi que représente le sommeil et sur les solutions qu’elles ont pu trouver, sachant qu’elles n’étaient pas toujours idéales », raconte-t-elle en entrevue.

La peur de se faire chicaner

Certaines familles ont rapporté à la chercheuse qu’elles cachaient aux professionnels de la santé le fait qu’elles pratiquaient le cododo de peur de se faire chicaner. « J’ai été confronté à une famille qui avait préparé une belle chambre de bébé spécialement pour montrer à l’infirmière en postnatal même si leur enfant n’y a jamais dormi. »

Isabelle Poulin, directrice générale de l’organisme Chantelait et consultante en lactation IBCLC, a également entendu des histoires du genre. « Certains parents craignent vraiment d’aborder le sujet avec leur médecin ou leur infirmière, affirme-t-elle en entrevue. Des mères nous disent même qu’elles ont peur d’être signalées à la DPJ. »

Des propos culpabilisants

Il faut dire que la façon dont certains professionnels de la santé parlent du cododo peut être culpabilisante. « On utilise parfois des stratégies pour effrayer les parents afin de les éloigner du cododo, note Anne-Marie Rouillier. Cela peut être bouleversant pour les familles qui le font ou qui sentent que c’est la seule solution qui leur convient. »

Selon l’anthropologue, les parents sont aussi confrontés à des conseils contradictoires. D’un côté, on leur rappelle l’importance de l’allaitement et on leur explique que c’est normal pour un bébé de boire la nuit. Cependant, en même temps, on leur dit que le cododo n’est pas une bonne idée pour les tétées nocturnes.

Ce discours a des conséquences même pour les parents qui ne pratiquent pas le cododo. En effet, certains craignent par-dessus tout de s’endormir avec leur enfant. « Ils luttent tellement contre le sommeil, qu’ils vont presque dormir debout, souligne Isabelle Poulin. Ils vont se promener et ne jamais s’asseoir de crainte de s’endormir avec le bébé. »

Des pratiques dangereuses

Pour réussir à se reposer avec leur bébé, des parents ont parfois recours à des pratiques non sécuritaires. « Par exemple, certaines mères mettent beaucoup d’oreillers autour d’elles en pensant que cela évitera à leur bébé de tomber, remarque Isabelle Poulin. D’autres parents s’installent sur le sofa et s’endorment avec leur bébé sans le vouloir. » Ces pratiques sont beaucoup plus dangereuses que le partage du lit.

« Habituellement, le risque est moins grand lorsque le cododo est prévu et qu’il n’est pas fait sur le coup d’une grande fatigue », souligne Isabelle Poulin. En effet, les parents qui envisageaient le cododo avant la naissance de leur enfant ont eu le temps d’y réfléchir et de s’informer sur les critères de sécurité.

Expliquer plutôt que déconseiller

La peur de parler du cododo est même présente chez certaines intervenantes. « Elles ne savent pas trop comment aborder ça », souligne Isabelle Poulin. « Dans certains milieux, c’est même totalement proscrit de parler de cododo aux familles », ajoute Anne-Marie Rouillier.

Certains professionnels de la santé pensent qu’ils n’ont pas suffisamment de formation pour parler du partage de lit. « Ils vont alors donner des conseils basés sur leur expérience personnelle plutôt que sur la science, ce qui n’est pas nécessairement gagnant », déplore-t-elle.

L’anthropologue croit que le réseau de la santé pourrait s’inspirer de ce qui se fait en Europe, comme en Grande-Bretagne ou au Danemark. « Là-bas, au lieu de dire aux parents de ne pas faire de cododo, on prend plutôt le soin de les informer de certains facteurs de risque, explique-t-elle. Il faut faire des propositions claires sur les façons de vivre un cododo sécuritaire. »

S’informer avant la naissance

Isabelle Poulin encourage pour sa part les parents à s’informer avant la naissance, même s’ils n’envisagent pas le cododo. « Parfois, on a beaucoup d’attentes avant la naissance sur comment les nuits vont se passer, souligne-t-elle. On croit que tout sera rose bonbon et ce n’est pas toujours ce qui se produit. Avoir des solutions en cas de manque de sommeil peut être aidant. »

Pour connaître les règles de sécurité à suivre lors du partage du lit, consultez notre fiche Le cododo.

 

Kathleen Couillard – Équipe Naître et grandir

Naître et grandir

Photos : Baby Sleep Information Source website/Rob Mank et GettyImages/Rachaphak

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