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Même si les femmes ont le droit d’allaiter dans les lieux publics au Québec, les commentaires et les regards choqués des passants sont encore courants.
19 juillet 2021 | Au début du mois, des agents de sécurité de Disneyland Paris ont demandé à une mère de cesser d’allaiter parce que cela choquait la clientèle selon eux. L’incident, qui a fait le tour du monde, a relancé le débat sur le droit d’allaiter partout. Quelle est la situation actuelle au Québec?
Il y a quelques années, les médias québécois ont rapporté des cas semblables qui se sont déroulés dans des lieux publics comme un magasin, un palais de justice ou une piscine publique. Certains de ces incidents se sont même retrouvés devant les tribunaux.
Selon le site Éducaloi, les juges ont alors conclu que le fait d’interdire l’accès à un lieu public à une femme parce qu’elle allaite constitue une forme de discrimination basée sur le sexe. De plus, les tribunaux ont rappelé que l’allaitement n’est pas un geste d’exhibition, mais un geste naturel lié à la capacité des femmes de mettre un enfant au monde. Par conséquent, même si l’allaitement dans les lieux publics n’est pas mentionné en tant que tel dans la loi, les tribunaux ont tranché : on ne peut pas empêcher une femme d’allaiter dans un endroit public.
Depuis, on ne voit plus ce genre d’incident dans les médias. « Cependant, ce n’est pas parce qu’on n’en parle pas dans les journaux qu’il n’y a plus de problèmes », souligne Raphaëlle Petitjean, directrice générale du Mouvement allaitement du Québec (MAQ).
Des commentaires inappropriés
Même si les femmes qui allaitent ne se font plus exclure des commerces, elles doivent toutefois parfois subir les commentaires et les regards des passants, souligne la directrice du MAQ.
C’est aussi ce qu’observe Chantal Bayard, doctorante en sciences sociales au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Dans le cadre d’un de ses projets de recherche, elle analyse les commentaires sous certaines publications concernant l’allaitement sur les réseaux sociaux. Elle a remarqué que des mères racontaient avoir reçu des commentaires sur la façon dont elles nourrissaient leur enfant parce qu’elles avaient allaité ou donné un biberon dans un lieu public. « Il y en avait beaucoup, donc cela doit arriver dans le quotidien », conclut-elle.
Ces commentaires tournent toujours autour des mêmes idées selon son analyse. « Il est question de pudeur, de l’intention de provoquer et du degré auquel la mère était dénudée, explique-t-elle. On renvoie les femmes à leur corps et à certaines normes sociales. Si elles transgressent ces normes en n’étant pas suffisamment discrètes, les gens se permettent de faire des commentaires. »
« L’allaitement dans l’espace public est toléré à condition d’être couverte, confirme Raphaëlle Petitjean. Pour le MAQ, ce compromis n’est pas acceptable. » Elle donne notamment l’exemple des femmes qui allaitent des jumeaux ou des bébés qui ne supportent pas d’avoir quelque chose sur la tête.
Selon Chantal Bayard, cela crée aussi une contradiction pour les mères. « On les encourage à allaiter exclusivement, à la demande et longtemps, souligne-t-elle. Et on s’attend à quoi? Qu’elles restent chez elle pendant tout ce temps et qu’on ne les voit pas? »
Quand l’allaitement nuit à la vie sociale
Selon Raphaëlle Petitjean, les témoignages des femmes qui ont reçu des commentaires désagréables peuvent avoir des répercussions sur les autres mères. « Elles sont exposées à ces expériences négatives par les réseaux sociaux et craignent alors d’allaiter devant les autres. »
Carolina Hernandez, maman d’une petite fille de 12 mois, est marraine d’allaitement. Elle remarque que plusieurs mères sont inquiètes à l’idée d’allaiter dans les lieux publics. « Il y en a même qui se privent de sortir, d’aller magasiner ou de manger au restaurant », raconte-t-elle. Selon elle, ces mères renoncent à avoir une vie normale par crainte d’être jugées.
Chantal Bayard croit en effet que certaines femmes choisiront de ne pas allaiter dans l’espace public et vivront de l’isolement ou se sentiront restreintes dans leurs activités. « Même si nous n’avons pas de statistiques pour le confirmer, on peut supposer que certaines femmes qui se sentent moins à l’aise d’allaiter à l’extérieur de chez elle peuvent finalement arrêter l’allaitement parce qu’elles trouvent que ce n’est pas pratique. »
Rendre l’allaitement visible
« Des études démontrent que moins l’allaitement est visible, plus ça renforce l’idée que c’est un geste privé », souligne Raphaëlle Petitjean. Il est donc important de voir plus de femmes allaiter dans l’espace public.
Après avoir vécu un incident où elle s’était sentie observée pendant qu’elle allaitait sa fille dans un restaurant, Carolina Hernandez a d’ailleurs réalisé qu’elle contribuait à éduquer les gens en continuant d’allaiter lors de ses sorties. « Je n’ai pas honte, je le fais. C’est naturel. Si quelqu’un venait me voir pour me dire quoi que ce soit, je lui expliquerais que mon bébé est en train de manger. » Selon la jeune mère, il faut être fière d’allaiter et le faire avec plaisir.
Chantal Bayard qui s’intéresse aux médias sociaux croit que ceux-ci peuvent aussi avoir un effet positif sur l’allaitement dans l’espace public. « On voit de plus en plus d’images sur les réseaux sociaux, remarque-t-elle. Cela change la donne. Cela contribue à voir plus de femmes qui allaitent. À force de voir des mères allaiter, on est peut-être moins choqué. »
Selon la chercheuse, il faut également s’interroger sur le besoin de commenter les choix des nouvelles mamans. « On peut se demander si on est vraiment obligé de passer des commentaires sur les femmes qu’on croise et qu’on ne connaît pas. On devrait plutôt s’intéresser à la personne et à la complexité de ce qu’elle vit. »
Une réflexion qui pourrait s’appliquer également aux mères qui vivent de la stigmatisation parce qu’elles nourrissent leur enfant avec un biberon. « Peu importe la façon dont une femme choisit de nourrir son enfant, on devrait l’accueillir de la même façon. Pourtant, plusieurs souffrent, quel que soit leur choix, parce qu’elles se sentent jugées », conclut Chantal Bayard.
Sources : Le Parisien et Éducaloi
Kathleen Couillard – Naître et grandir
Photo : GettyImages/NoSystem images