Zoom sur les familles nombreuses

Il y a 60 ans, au Québec, avoir de sept à dix enfants, c’était normal. De nos jours, c’est le contraire: les familles nombreuses surprennent et font jaser. Pourquoi les parents d’aujourd’hui ont-ils rarement plus que deux enfants? Et à quoi ressemble le quotidien dans une famille de trois ou quatre enfants? On fait le point avec des parents et des experts.

Continuer

Joies et défis des grandes familles

Les familles nombreuses suscitent bien des commentaires. Les parents en entendent de toutes les couleurs. Mais, avoir trois ou quatre enfants, est-ce vraiment comme on l’imagine? Des parents parlent des commentaires qu’ils reçoivent le plus souvent. Ils racontent aussi les bons côtés et les défis de leur vie familiale.

Par Nathalie Côté

Les familles nombreuses suscitent bien des commentaires. Les parents en entendent de toutes les couleurs. Mais, avoir trois ou quatre enfants, est-ce vraiment comme on l’imagine? Des parents parlent des commentaires qu’ils reçoivent le plus souvent. Ils racontent aussi les bons côtés et les défis de leur vie familiale.

« Ça doit bouger chez vous! »

Tous les parents interrogés le confirment : avoir trois ou quatre enfants, ça met de la vie dans une maison! Mais pour eux, ce n’est pas négatif. « Quand c’est trop calme, je trouve ça plate », note Véronique Grégoire-Lacombe, maman de trois enfants âgés de 6 mois, 2 ans et 3 ans. « Chez nous, nous sommes actifs alors ça nous va », indique de son côté Philippe Gendron, papa de quatre enfants âgés de 6 mois, 3 ans, 5 ans et 7 ans.

Bien sûr, comme dans toutes les familles, certains moments sont plus difficiles. « Le soir, nos deux filles sont plus fatiguées et elles ont tendance à se chicaner plus », constate Véronique. Mais, le bon côté, c’est que les chicanes apprennent aux enfants à résoudre leurs conflits. « Il suffit souvent de donner un coup de pouce à nos enfants pour les aider à régler leur problème », dit Philippe.

Plusieurs parents notent aussi que leurs enfants développent une belle complicité. « Les trois plus grandes sont vraiment proches », souligne Sonia Vallée, la conjointe de Philippe. Ainsi, elles s’amusent entre elles et s’entraident lorsque c’est nécessaire.

Reste qu’être une famille nombreuse entraîne parfois des difficultés. Des propriétaires peuvent, par exemple, hésiter à louer un appartement à une famille de trois ou quatre enfants de peur de recevoir des plaintes des voisins à cause du bruit. « Plusieurs étaient craintifs », raconte Yves Fouometio, originaire du Cameroun. Quand il est arrivé au Québec avec sa femme Christiane et leurs quatre enfants âgés de 1 an, 4 ans, 9 ans et 11 ans, il lui a fallu un mois pour trouver un logement.

« Je ne sais pas comment vous faites! »

Le partage des tâches et l’aide de l’entourage sont importants pour que les choses se passent bien dans une grande famille. « On divise les tâches selon nos intérêts, explique Véronique. Moi, par exemple, j’aime plier le linge en regardant la télé. Ça me relaxe. On essaie aussi de rendre les enfants autonomes et on les encourage à se ramasser. » Ses enfants, par exemple, mettent les ustensiles sur la table avant le repas, ils desservent la table et rangent leurs jouets.

« Il y a des tâches, comme la préparation des repas, qui ne prennent pas plus de temps avec un enfant de plus ou de moins », souligne Christiane. « On s’habitue aussi à en faire plus, petit à petit, ajoute Véronique. On n’a pas eu tous nos enfants d’un seul coup! »

Lâcher prise, par exemple sur le ménage, permet aussi de réduire le stress. « Il faut apprendre à être moins exigeant quant à ce qu’on doit faire chaque jour, note Sonia. C’est bon d’apprécier chaque beau moment pour continuer d’une journée à l’autre. »

Évidemment, la fatigue est parfois présente. « Nous avons une enseigne à l’entrée de la maison : Parents épuisés, enfants heureux, lance Philippe en riant. Le plus difficile, c’est d’avoir des moments en couple. Ma mère vient garder les enfants une semaine par année pour qu’on se retrouve, ma femme et moi. » Cette année, ils feront un petit voyage, mais avec leur plus jeune parce que Sonia l’allaite encore.

Les familles recomposées représentent 19 % de toutes les familles qui ont trois enfants et plus.

L’aide des proches offre en effet un bon coup de main, mais elle n’est pas toujours possible. « Au Cameroun, on pouvait compter sur un cousin, une tante ou une grand-mère, raconte Yves. Ici, c’est différent : on n’a pas de famille et on commence tout juste à se faire un réseau. » Sonia, de son côté, se trouve chanceuse d’avoir ses parents tout près. Ils vivent côte à côte dans une maison bigénération. « Ils ne gardent pas les enfants si souvent, mais ils nous dépannent au besoin », explique-t-elle.

Et peut-on encore avoir une vie sociale avec une grande famille? Il semble bien que oui! « La plupart de nos amis ont aussi des enfants, ils sont habitués, ça ne cause pas de problème, note Sonia. Mais, il faut sortir la rallonge de la table quand on arrive! » Benoît Dussault affirme pour sa part pouvoir sortir avec sa conjointe Véronique grâce à l’aide de son entourage qui vient garder les enfants. « Toutefois, il faut parfois sortir chacun de notre côté pour voir des amis », dit-il.

« Avez-vous assez de temps pour chacun? »

Avec une famille qui s’agrandit vite, il peut sembler difficile de donner de l’attention à chaque enfant. « J’essaie d’avoir des moments où je m’occupe de tous mes enfants en même temps, dit Sonia. J’organise un jeu pour tous, par exemple. » Pour sa part, Christiane explique : « Chaque enfant a des besoins différents, il suffit de s’adapter à chacun plutôt que d’essayer de faire pareil pour tous. » Même s’ils n’ont pas toujours le temps d’avoir des moments privilégiés avec chaque enfant, les parents interrogés ne pensent pas que leurs enfants manquent d’attention.

D’ailleurs, une famille nombreuse comporte un avantage de taille : les enfants peuvent jouer ensemble. « En plus, les plus jeunes apprennent à parler et à faire toutes sortes de choses plus vite », remarque Christiane. Même constat chez Philippe. « Ma deuxième vient d’entrer à la maternelle. Elle connaît déjà son alphabet et sait écrire des mots parce qu’elle joue à l’école avec l’aînée », raconte-t-il.

Un autre atout : les enfants deviennent vite débrouillards. « Si une de nos filles voit que je suis occupée, elle demande à ses sœurs de l’aider ou elle se débrouille autrement », raconte Sonia.

« Ça doit coûter cher… »

Oui, avoir une grosse famille coûte plus cher. Mais avoir quatre enfants ne coûte pas quatre fois plus cher! « On trouve des astuces, assure Christiane Fouometio. Par exemple, on prend les choses du plus grand pour les plus petits. »

« Les allocations du gouvernement nous aident aussi », précise pour sa part Philippe. Sa conjointe Sonia et lui travaillent, mais ils surveillent leurs dépenses. « On fréquente la friperie, on échange du linge entre parents, les filles partagent leurs jouets, ma femme cuisine beaucoup, dit-il. Là où on se prive plus, c’est sur les voyages et les activités payantes. »

Les familles nombreuses sont aussi plus fréquentes chez les immigrants. 27% des familles immigrantes au Québec ont trois enfants mineurs ou plus.

L’auto demeure cependant une dépense difficile à éviter. « On peut encore fonctionner avec notre auto, dit Benoît. Mais si on a un quatrième enfant, on n’aura pas le choix d’acheter une minifourgonnette à sept places. » Il faut aussi de l’espace pour loger tout le monde. « Notre garçon a sa chambre, mais nos filles partagent une chambre. Elles sont encore trop jeunes pour aller dormir au sous-sol explique Véronique. Si on a un quatrième enfant plus tard, il faudra peut-être penser à déménager pour avoir plus d’espace. »

Au moment de l’entrevue, les Fouometio étaient en recherche d’emploi. Évidemment, leurs finances sont plus serrées. Idéalement, le couple aimerait que l’un d’entre eux travaille à temps plein et l’autre, à temps partiel. Cela leur permettrait de bien répondre aux besoins de leur famille et d’acheter une auto!

 

Deux adultes, deux enfants
La société actuelle n’est pas toujours bien adaptée aux familles nombreuses. Sonia Vallée, mère de quatre enfants, le confirme. « Quand il y a des forfaits familiaux, c’est souvent pour deux adultes et deux enfants. Au restaurant, les tables sont souvent pour quatre personnes. Dans les hôtels, une chambre standard compte deux lits doubles », énumère-t-elle. Véronique Grégoire-Lacombe, qui a trois enfants, observe la même chose. « Ça prendrait plus de grosses familles pour renverser la vapeur et démontrer qu’il y a de la demande pour des forfaits pour les familles nombreuses », ajoute-t-elle.

 

Entre désir et réalité

Vous connaissez peut-être plusieurs familles de trois ou quatre enfants, mais dans les faits, elles sont assez rares. Les familles de trois enfants et plus ne représentent que 17 % des familles au Québec.

Vous connaissez peut-être plusieurs familles de trois ou quatre enfants, mais dans les faits, elles sont assez rares. Les familles de trois enfants et plus ne représentent que 17 % des familles au Québec.

Pourtant, avant de fonder leur famille, les parents en veulent souvent plus qu’ils en auront en réalité. D’ailleurs, près de 28 % des Québécoises disent vouloir 3 enfants ou plus selon les statistiques de 2022, alors qu’elles étaient 32 %, en 2011, à en vouloir autant.

Les tâches domestiques pourraient expliquer en partie la différence entre le désir d’enfant et le nombre réel de naissances. Au moment où arrive le premier ou le deuxième enfant, les parents se rendent compte de la charge que cela représente en plus de leur travail. « De plus, si la mère fait davantage de tâches que son conjoint, ça peut influencer son envie ou non d’agrandir la famille », note Laurence Charton, sociologue et chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique.

La difficulté à concilier le travail et la famille peut aussi amener les parents à s’arrêter à un ou deux enfants. « Je travaille comme infirmière, selon des horaires particuliers, et mon conjoint est travailleur autonome. Cela facilite les choses, dit Sonia Vallée, mère de quatre enfants. Les parents de familles nombreuses qui travaillent tous les deux de 9 à 5, je ne sais pas comment ils s’en sortent! »

Mon arrière-arrière-grand-mère…

D’ailleurs, les choses ont bien changé depuis le début du siècle dernier. À cette époque, il était normal d’avoir une grande famille au Québec. Encouragée entre autres par l’Église à faire des enfants, une famille sur cinq comptait plus de dix enfants! Petit à petit, la taille des familles a toutefois diminué. Les femmes qui sont devenues mères entre 1970 et 1995 se sont particulièrement démarquées. Ce sont celles qui ont eu le moins d’enfants. « C’est la génération qui a connu le divorce, la pilule et la crise économique au moment d’entrer sur le marché du travail, indiquait Chantal Girard, anciennement démographe à l’Institut de la statistique du Québec. Ces femmes avaient environ 30 ans à la fin des années 1980. Ce n’était pas des années simples. » Résultat : elles ont été plus nombreuses à ne pas avoir d’enfant et celles qui sont devenues mères en ont eu moins.

Les femmes de la génération suivante ont été légèrement plus nombreuses à avoir trois enfants ou plus, bien que cette tendance se soit estompée depuis quelques années. « C’est probablement dû, entre autres, à l’amélioration de la situation économique », avance la démographe. Une meilleure conciliation famille-travail, avec l’arrivée des services de garde subventionnés, a peut-être aussi eu un effet. « À ma connaissance, il n’existe pas d’étude pour le prouver, mais on peut penser qu’il y a un lien », ajoute-t-elle.

 

Les familles autochtones
« Selon les données du recensement de 2016, on observe que parmi les familles avec enfants à la maison, les familles d’identité autochtone ont plus fréquemment au moins trois enfants à la maison (30%) comparativement aux familles mixtes (23%) ou non autochtones (21%) », souligne la sociologue Laurence Charton. « Par ailleurs, alors que les familles intactes (c’est-à-dire un couple avec enfants issus de ce couple) composent la majorité des familles mixtes (76%) et non autochtones (64%), elles ne représentent qu’un peu plus du tiers (37%) des familles d’identité autochtone. De plus, les familles d’identité autochtone sont pour leur part majoritairement des familles monoparentales à 53% », explique Laurence Charton.
À retenir
  • Les familles de trois enfants ou plus représentent 17 % des familles au Québec.
  • Plusieurs familles veulent au départ au moins trois enfants, mais s’arrêtent à un ou deux.
  • Le partage des tâches et l’aide de l’entourage facilitent le quotidien des parents de familles nombreuses.
  • Dans une famille nombreuse, les enfants apprennent souvent rapidement à se débrouiller, à jouer ensemble et à s’entraider.

 

Naître et grandir

Source : magazine Naître et grandir, avril 2018
Recherche et rédaction : Nathalie Côté
Révision scientifique : Claudine Parent, professeure à l’école de travail social et de criminologie de l’Université Laval

En cours de révision

 

Ressources

  • Bulletin Quelle famille?, ministère de la Famille du Québec, volume 7, numéro 1, hiver 2020.
    mfa.gouv.qc.ca/fr
  • Bulletin Quelle famille?, ministère de la Famille du Québec, volume 8, numéro 3, automne 2021.
    mfa.gouv.qc.ca/fr
  • Bulletin Quelle famille?, ministère de la Famille du Québec, volume 9, numéro 2, printemps 2022.
    mfa.gouv.qc.ca
  • Conseil du statut de la femme. Portrait des Québécoises. La situation familiale. Édition 2022.
    csf.gouv.qc.ca
  • Institut de la statistique du Québec. Le bilan démographique du Québec. 2023.
    statistique.quebec.ca/fr
  • Recensement 2016, Statistique Canada
  • Recensement 2021, Statistique Canada

Photos : Maxim Morin