Bien des choses ont changé en alimentation au cours des 30 dernières années, entre le moment où vous étiez enfant et aujourd’hui, où vous êtes devenu parent. Regard sur le passé, pour mieux comprendre le présent et peut-être améliorer le futur.
Par Stéphanie Côté, nutritionniste
Bien des choses ont changé en alimentation au cours des 30 dernières années, entre le moment où vous étiez enfant et aujourd’hui, où vous êtes devenu parent. Regard sur le passé, pour mieux comprendre le présent et peut-être améliorer le futur.
Les phrases marquantes à table
Lorsque vous étiez enfant, vos parents vous ont sûrement dit certaines phrases pour vous inciter à « manger toute votre assiette ». Voici quelques-unes de ces phrases qui devraient rester dans le passé!
« Encore trois petites bouchées pour me faire plaisir! »
Auparavant, les parents s’en donnaient du mal pour inciter leur enfant à finir son assiette! Or, on sait maintenant qu’une relation trouble peut se créer entre les émotions et l’alimentation. L’enfant ne doit donc pas croire qu’il doit manger au-delà de ses besoins pour faire plaisir à ses parents ou les rendre fiers. « C’est un drôle de plaisir, non? Ça affecte les émotions de l’enfant et ce n’est pas souhaitable », explique Karine Gravel, nutritionniste. L’idéal est donc de laisser l’enfant arrêter de manger lorsqu’il le décide, car il est le seul à connaître les quantités que son corps est capable d’accepter.
« Finis ton assiette si tu veux du dessert. »
Cette phrase vous l’avez sûrement entendue plus d’une fois lorsque vous étiez enfant. D’ailleurs, on l’entend encore souvent aujourd’hui. Toutefois, de plus en plus de parents savent qu’on ne devrait pas utiliser le dessert comme récompense. « Ça rend le dessert encore plus spécial et ça fait voir à l’enfant le plat principal comme un obstacle », explique Guylaine Guèvremont, bachelière en nutrition et coauteure du livre Manger, un jeu d’enfant. On crée donc le contraire de ce que l’on souhaite!
« Mange tous tes légumes! C’est bon pour la santé. »
Est-ce que ce genre d’argument vous a déjà fait aimer un aliment quand vous étiez enfant? Cela ne risque pas non plus de fonctionner avec votre enfant. Il a plus de chances d’apprendre à aimer un aliment s’il le découvre dans une bonne ambiance et si les adultes présents en mangent avec plaisir. « Il faut que l’enfant trouve ça bon, point. Si on oblige un enfant à manger ses petits pois, il le fera, sans pourtant les aimer davantage, ce qui risque de créer une relation négative avec les aliments. Le rôle du parent est d’aider son enfant à devenir un bon mangeur pour la vie », précise Guylaine Guèvremont.
La vie de famille change, les repas aussi
« Qu’est-ce qu’on mange ce soir? »
Vous avez aujourd’hui une petite pensée pour votre mère quand vous entendez cette question que vous avez tant posée vous-même? Avec la conciliation famille-travail qui est plus difficile qu’avant, préparer les repas est maintenant tout un défi! Il n’y a toutefois pas de recette miracle. La clé, c’est la planification des repas. Avoir un garde-manger organisé qui contient de bons aliments dépanneurs (ex. : conserves de thon, conserves de tomates, légumineuses, riz, pâtes, quinoa, avoine, noix, muesli) est aussi très utile.
Les parents en manque de temps gagneraient à planifier davantage leurs repas et à bien gérer le contenu de leur frigo et de leur congélateur. « En plus, c’est meilleur pour la santé et pour le portefeuille », souligne Hélène Laurendeau, nutritionniste et auteure du livre Ma Cuisine.
Plus de variété, mais aussi plus d’aliments transformés
Un morceau de viande, des patates et un légume (en conserve même) : les soupers de votre enfance ressemblaient-ils souvent à ça? Il faut dire que la variété dans les menus de la semaine n’était pas un critère aussi important qu’aujourd’hui.
Il vaut mieux manger des plats maison très simples qu’acheter des mets préparés.
De nos jours, beaucoup de parents se cassent la tête pour varier les repas, inspirés par les nombreux sites de recettes et les émissions de cuisine. Toutefois, quand ils manquent de temps, ils ont souvent le réflexe de se tourner vers les mets préparés de moins bonne qualité et les aliments ultra-transformés, de plus en plus présents dans les épiceries, déplore la nutritionniste Hélène Laurendeau.
« L’industrie alimentaire ne veut pas qu’on cuisine, car elle veut nous vendre ses solutions. Le problème, c’est que cela ne nous aide pas à avoir une alimentation saine. Revenons donc à des choses simples, mais vraies », dit-elle.
Selon elle, une omelette au fromage, des pâtes au brocoli, un poisson cuit au four sur une plaque avec des légumes ou même des céréales ou des rôties au beurre d’arachide valent mieux que plusieurs mets prêts à manger. De plus, préparer des plats maison est beaucoup plus économique qu’acheter des mets préparés.
Moins de connaissances sur les aliments
Dans les années 1980, le kiwi était considéré comme un fruit exotique. Maintenant, c’est plutôt un fruit banal. Les enfants d’aujourd’hui ont d’ailleurs accès à beaucoup plus d’aliments que nous lorsque nous étions petits. Toutefois, les enfants sont maintenant davantage en contact avec des aliments transformés et moins avec les produits de la ferme. Résultat : ils manquent de connaissances alimentaires, comme l’ont démontré plusieurs expériences.
« Enseignons aux enfants d’où viennent les aliments de base, comment ils sont faits et de quoi ils ont l’air en les emmenant avec nous à l’épicerie, à la fruiterie, faire de l’auto-cueillette dans les champs, voir les animaux à la ferme… et en leur faisant de la place en cuisine pour mettre la main à la pâte avec nous!», suggère Hélène Laurendeau. À quoi ressemble une laitue lorsqu’elle sort de terre? D’où vient le fromage? De quoi ont l’air les céréales avant d’être dans une boîte à l’épicerie? Ce sont de belles discussions à avoir à table!
Des repas en famille moins fréquents
Il y a 30 ans, on parlait peu de l’importance de manger en famille. On mangeait ensemble, cela allait de soi. Aujourd’hui, on accorde beaucoup d’importance au fait de manger des légumes et de faire attention à l’environnement, par exemple, mais on néglige le repas en famille. « Pourtant les repas quotidiens pris en famille ont un impact sur la construction du lien social. Les enfants y apprennent comment manger, mais aussi les manières à table et la communication avec les autres », constate Nathalie Lachance, sociologue.
Même si le mode de vie moderne complique souvent les choses, il ne faut pas oublier qu’être assis à table avec son enfant a de nombreux bienfaits pour lui. « Cela renforce le sentiment d’appartenance à la famille et aide l’enfant à construire son identité. Il faut laisser le temps à la famille d’être une famille pour construire des enfants confiants », souligne Nathalie Lachance.
L’âge d’introduction des aliments |
Aujourd’hui, la Société canadienne de pédiatrie, Santé Canada et Les Diététistes du Canada recommandent d’introduire les aliments complémentaires vers l’âge de 6 mois. Or, votre mère vous a peut-être dit qu’à l’âge de 2 mois, vous mangiez déjà des purées? C’était en effet courant à l’époque. Pourtant, dès les années 1970, les experts savaient que cette pratique n’était pas souhaitable pour le bébé, affirme la nutritionniste Louise Lambert-Lagacé. Cela dit, plusieurs mamans commençaient vers le deuxième ou le troisième mois, « soit parce qu’elles trouvaient ça long d’attendre, soit parce qu’elles écoutaient certains médecins », se souvient-elle. Elle a d’ailleurs écrit le livre Comment nourrir son enfant, en 1974, pour remettre les pendules à l’heure. |
L’écran, le nouvel invité de trop
Auparavant, il n’y avait souvent qu’une télévision dans la maison et elle se trouvait le plus souvent dans le salon. Aujourd’hui, les écrans sont nombreux – ordinateurs, téléphones cellulaires, tablettes – et ils nous suivent dans toutes les pièces.
« L’écran est devenu un membre de la famille qui s’invite à table. À cause de lui, les membres de la famille se privent d’occasions d’échanges entre eux lors des repas », note Marie Marquis, professeure titulaire au Département de nutrition de l’Université de Montréal. Or, pour que le repas en famille soit bénéfique, il faut se parler.
Les écrans à table sont aussi mauvais pour la santé. Lorsqu’un enfant mange devant un écran, il est tellement absorbé qu’il ne prend pas conscience de ce qu’il mange. « Avec les écrans, il mange plus et il bouge moins, ce qui mène au surpoids », explique Myriam Gehami, nutritionniste et coauteure de J’aime pas ça!, J’en veux encore!
Des effets jusque dans l’assiette…
Des portions plus grosses
Depuis les années 1950 et 1960, la taille des portions dans les restaurants et celles des aliments transformés en général a considérablement augmenté. Cela incite à manger davantage. De pus, comme les gens cuisinent moins, ils mangent plus d’aliments transformés provenant de l’épicerie ou du restaurant et cela a un impact encore plus grand sur leur alimentation.
Les gens ont tendance à se servir de plus grosses portions qu’avant, car leurs repères ont complètement changé. Les portions généreuses servies au restaurant ou les aliments préparés de l’épicerie laissent penser que c’est normal de manger autant. Or, plutôt que de vous fier aux portions des restaurants ou des plats préparés, il est préférable de vous fier aux signaux que votre corps vous envoie et de manger en écoutant votre faim.
Pour enseigner cette façon de manger à votre enfant, demandez-lui s’il a une petite ou une grande faim au moment de le servir. Assoyez-vous pour manger, éteignez les écrans afin d’éviter les distractions et permettez à votre enfant d’arrêter de manger lorsque son ventre «lui dit» qu’il est satisfait.
Plus de problèmes de santé
« L’espérance de vie augmente normalement d’une génération à l’autre. Mais pour la première fois, il y a un recul. Les enfants d’aujourd’hui risquent de vivre moins longtemps que leurs parents », souligne Amandine Moukarzel, nutritionniste . L’obésité et les problèmes de santé qui en découlent sont une cause importante de ce recul.
Les statistiques que rapporte Michel Lucas, épidémiologiste, chef cuisinier et professeur titulaire au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, sont d’ailleurs préoccupantes. Selon les données de l’Agence de la santé publique du Canada, en 1978-79, 23 % des enfants âgés de 2 à 17 ans étaient en surpoids ou obèses, alors que 35 % des enfants du même âge l’étaient en 2004. Et en 2017, 30 % des enfants âgés de 5 à 17 ans étaient en surpoids ou obèses.
Selon Michel Lucas, les aliments les plus néfastes sont les jus et les boissons sucrées qui remplissent les estomacs au lieu de bons aliments peu transformés. Il faut créer des environnements qui facilitent les bons comportements, comme habituer davantage les enfants à boire de l’eau, selon lui. Il ajoute que le problème, ce n’est pas juste ce que les gens mangent, mais aussi ce qu’ils ne mangent pas, comme des fruits, des légumes, des légumineuses, des noix, du poisson et des huiles végétales. « Il faut faire en sorte que ça devienne normal et agréable d’en manger », dit-il.
Près de la moitié des calories quotidiennes consommées par les enfants proviennent d’aliments ultra-transformés, indique Marie-Jeanne Rossier-Bisaillon, nutritionniste au Collectif Vital. Selon elle, il faut réduire la place de ces aliments dans nos vies. « Ces aliments riches en sucre, en sel et en gras saturés contribuent à plusieurs problèmes de santé, comme la carie, l’érosion des dents et le diabète de type 2. Par ailleurs, de plus en plus d’enfants développent des maladies cardiovasculaires comme l’hypertension », précise-t-elle.
« C’est mauvais pour la santé! »
Dans les années 1980 et 1990, on ne se posait pas autant de questions sur la nutrition. Aujourd’hui, nous sommes mieux informés, ce qui pousse plusieurs parents à interdire à leur enfant certains aliments qu’ils jugent mauvais.
Toutefois, il est correct de permettre à un enfant de manger des aliments moins nourrissants à l’occasion. Autrement, il risque d’être encore plus attiré par l’aliment interdit. « Il se pourrait alors qu’il développe une préoccupation au sujet de certains aliments comme une personne à la diète », prévient la nutritionniste Karine Gravel.