Reconnaître et prévenir la violence familiale

Bien que la plupart des enfants au Québec grandissent dans un milieu sécurisant, la violence familiale est malheureusement une réalité pour de nombreux tout-petits. La violence n’est pas sans conséquence. Il est donc important d’en parler pour la reconnaître et la prévenir.

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Portrait de la violence familiale au Québec

Bien que la plupart des enfants au Québec grandissent dans un milieu sécurisant, la violence familiale est malheureusement une réalité pour de nombreux tout-petits. La violence n’est pas sans conséquence. Il est donc important d’en parler pour la reconnaître et la prévenir.

Par Nathalie Vallerand

La violence familiale comprend toute forme de mauvais traitements que les enfants voient, entendent ou subissent au sein de leur famille. Ces mauvais traitements peuvent être infligés par un parent ou un autre membre de la famille, comme un grand-parent ou un oncle.

On parle entre autres d’agressions psychologiques (crier, hurler, sacrer ou humilier un enfant), de punitions corporelles (taper les mains, les jambes ou les fesses d’un enfant, secouer un enfant de 2 ans et plus) et de violences physiques sévères (taper un enfant avec un objet, lui donner des coups de pied ou une claque au visage, secouer un tout-petit de moins de 2 ans). L’abus sexuel d’un enfant par un proche est aussi un type de violence familiale.

La négligence est aussi une violence. Un enfant en est victime quand ses parents ne répondent pas comme il faut à ses besoins physiques et psychologiques : nourriture, hygiène, sommeil, attention, encadrement, etc.

La violence familiale englobe également la violence conjugale et l’exposition des enfants à celle-ci. La violence conjugale inclut les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que la violence financière (prendre l’argent de l’autre, créer des dettes en son nom, lui interdire d’occuper un emploi).

« Contrairement à ce qu’on peut penser, la violence conjugale ne résulte pas d’une perte de contrôle. C’est plutôt un moyen d’exercer du pouvoir sur l’autre », indique Claudine Thibaudeau, responsable de la formation et du soutien clinique à SOS violence conjugale.

La violence familiale en chiffres

Les conduites parentales violentes seraient en baisse depuis quelques années, mais elles sont toujours présentes. Une enquête de l’Institut de la statistique du Québec indique qu’en 2018, 42 % des enfants de 5 ans et moins ont subi des agressions psychologiques répétées (trois fois ou plus); 35 % ont été victimes au moins une fois de punition corporelle, et 2,6 % de violence sévère.

Les enfants victimes de punitions corporelles sont environ 10 fois plus susceptibles que les autres de subir de la violence physique sévère.

Fait rassurant : la négligence est plus rare. Près de 5 % des enfants de 5 ans et moins vivaient dans un milieu où la négligence était à surveiller et moins de 1 % en auraient été victimes en 2018.

Concernant la violence conjugale, 12 % des femmes et des hommes mentionnent avoir vécu au moins une forme de violence dans leur couple, qu’ils aient des enfants ou non. Les femmes sont toutefois victimes d’une violence plus sévère. Elles représentent d’ailleurs la majorité des cas rapportés à la police. En 2018, 7 % des enfants du Québec auraient été exposés à de la violence conjugale.

La violence conjugale apparaît ou s’intensifie souvent pendant la grossesse et dans les deux premières années de vie d’un enfant. Au Québec, près d’une femme sur dix serait violentée par son partenaire durant cette période. « Chaque fois qu’un couple prend un engagement, comme aller vivre ensemble ou avoir un bébé, il devient plus difficile pour la victime de mettre fin à la relation », explique Claudine Thibaudeau.

Et la plupart du temps, la violence continue après la naissance et peut s’étendre à l’enfant. En effet, les enfants exposés à la violence conjugale sont plus souvent victimes d’agressions psychologiques et physiques que ceux qui n’y sont pas exposés.

« Les agresseurs sont habiles pour manipuler leur victime et lui faire croire qu’elle a une responsabilité dans la situation. Ils trouvent des excuses pour justifier leur comportement, observe Claudine Thibaudeau. Cependant, la violence n’est pas la faute de la victime et rien ne peut la justifier. » Peu importe sa forme, la violence familiale n’est jamais acceptable ni excusable.

Une nouvelle expression pour parler de violence conjugale

L’expression « violence entre partenaires intimes » est de plus en plus utilisée pour parler de « violence conjugale ». Cette appellation qui inclut la notion de « partenaires intimes » reflète davantage les différentes réalités des couples d’aujourd’hui. En effet, elle interpelle, par exemple, les jeunes, les membres de la communauté LGBTQ+ de même que les partenaires intimes qui n’habitent pas ensemble. Cette expression comprend aussi les personnes qui vivent des situations de violence après une séparation.

 

L'impact de la violence chez les enfants

La violence n’a que des effets négatifs sur un enfant. Cela détériore aussi sa relation avec ses parents. Même une mère victime de violence conjugale peut voir le lien avec son enfant affecté.

La violence n’a que des effets négatifs sur un enfant. Cela détériore aussi sa relation avec ses parents. Même une mère victime de violence conjugale peut voir le lien avec son enfant affecté. « Comme elle est en état de survie, il peut être difficile pour la mère de bien s’occuper de son enfant, constate Delphine Collin-Vézina, professeure à l’École de travail social de l’Université McGill et directrice du Centre de recherche sur l’enfance et la famille de cette même université. Le tout-petit peut alors essayer de reprendre du contrôle sur la situation en refusant l’autorité de sa mère. Ou au contraire, il peut essayer de la protéger. C’est beaucoup pour ses petites épaules. »

Être victime ou être exposé de façon répétée à la violence empêche l’enfant de développer le sentiment de sécurité dont il a besoin pour bien grandir. « Son cerveau s’adapte alors pour favoriser sa survie plutôt que ses apprentissages, indique Marie-Ève Grisé Bolduc, chargée de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières et assistante de recherche en développement de l’enfant. Toutes les sphères du développement de l’enfant peuvent être touchées. » Ainsi, un tout-petit qui est maltraité, négligé, abusé ou exposé à la violence à répétition peut éprouver des difficultés avec :

  • Ses comportements. Crier, mordre, lancer des objets, se cacher, figer, se soumettre aux autres, se couper de ses émotions et de ses sensations physiques. L’enfant peut avoir des comportements difficiles sans raison apparente. « Il s’agit souvent de réactions de survie qui se déclenchent dans des situations qui lui rappellent les actes violents qu’il a vécus, explique Marie-Ève Grisé Bolduc, auteure du livre Le trauma complexe chez l’enfant et l’adolescent. C’est comme si son cerveau lui envoyait une fausse alarme. »
  • Ses relations avec les autres. « Puisque ses parents n’ont pas assuré sa sécurité, l’enfant peut croire que le monde est dangereux et qu’il ne peut pas faire confiance aux autres », poursuit l’auteure. Se faire des amis et avoir de bonnes relations avec les autres peut être un défi.
  • La régulation de ses émotions. « Souvent, l’enfant n’a pas pu compter sur des adultes qui l’ont aidé à mettre des mots sur ses émotions, à les gérer d’une manière acceptable et à reconnaître celles des autres », dit Delphine Collin-Vézina.
  • Son identité et son estime de soi. La découverte de son identité (ses préférences, ses intérêts et ses talents) peut également être compromise. « Un enfant en mode survie explore moins, poursuit la chercheuse. Il a moins d’occasions d’apprendre à se connaître. » De plus, l’enfant peut trouver qu’il est nul, qu’il ne mérite pas d’être aimé et qu’il est responsable de ce qui lui est arrivé.
  • Ses capacités à penser avant d’agir, à planifier, à organiser, à analyser et à résoudre des problèmes. Comme la partie de son cerveau associée à ces fonctions est sous-utilisée par rapport à celle liée à la survie, l’enfant peut avoir du mal à réaliser certaines tâches mentales ou à respecter des consignes. « Ce n’est pas par manque de volonté, mais parce qu’il n’est pas encore capable de le faire », précise Marie-Ève Grisé Bolduc
Les enfants maltraités sont plus à risque d’avoir des problèmes de santé physique, mentale et de dépendance à l’âge adulte.

Fait encourageant, le cerveau est particulièrement malléable durant la petite enfance. « Les expériences positives laissent aussi des traces dans le cerveau, souligne Marie-Ève Grisé Bolduc. Si l’enfant maltraité a des personnes bienveillantes autour de lui, cela pourrait créer de nouvelles connexions dans son cerveau qui favoriseraient sa résilience. »

Non à la fessée
La fessée et les autres punitions corporelles (gifler, pincer, serrer le bras, etc.) ne sont pas des formes de discipline efficaces et elles n’ont que des effets négatifs. En effet, l’enfant va obéir à court terme, mais à long terme, les punitions corporelles entraînent de l’anxiété, de l’agressivité et un désir de vengeance ou de révolte. « Lorsqu’un enfant reçoit des punitions corporelles, il ressent de la peur et de l’insécurité. Il risque d’avoir moins confiance en ses parents. Son estime de soi est aussi affectée, car il pense qu’il n’est pas une bonne personne », énumère Delphine Collin-Vézina, chercheuse dans le domaine de la maltraitance. De plus, les coups n’apprennent pas à l’enfant à bien se comporter, mais plutôt à utiliser la violence pour régler les problèmes.

Éviter de perdre le contrôle

Vous êtes irritable. Vous sentez la tension monter. Que faire lorsque vous avez peur de faire mal à votre enfant?

Vous êtes irritable. Vous sentez la tension monter. Que faire lorsque vous avez peur de faire mal à votre enfant?

Être capable de réaliser qu’on risque de perdre le contrôle, c’est une grande force pour un parent, soutient Nicolas Berthelot, psychologue, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en traumas développementaux et professeur en santé mentale à l’Université du Québec à Trois-Rivières. « Si vous êtes à l’écoute de ce qui se passe à l’intérieur de vous et que vous sentez l’impatience monter, vous pourrez protéger votre enfant en vous retirant de la situation », dit-il.

Il suggère, par exemple, d’appliquer la règle des 3 R : « Recule, Respire et Réagis », qui peut vous aider à retrouver votre calme en vous isolant quelques instants. Vous pouvez aussi appeler un proche pour qu’il s’occupe de votre enfant ou pour qu’il vous aide à retrouver votre calme.

Demander de l’aide

Vous êtes à bout et vous pensez que vous pourriez perdre patience avec votre enfant ? « Il est important de retrouver un équilibre en prenant soin de vous, conseille Nicolas Berthelot. Vous pourriez faire garder votre enfant à l’occasion pour faire une activité que vous aimez ou encore utiliser des techniques de gestion du stress. »

« Si vous avez fait du mal à votre enfant, admettre que vous avez besoin d’aide et aller en chercher est la chose à faire », ajoute-t-il. Le mieux est d’aller chercher de l’aide professionnelle (ex. : psychologue, psychoéducatrice, travailleur social). (Voir ressources.)

Être un bon parent malgré une enfance difficile

Être parent, c’est exigeant. Le défi est encore plus grand pour un parent qui a été maltraité, car il est plus fragile en raison des traumatismes vécus.

« Peut-être que la parentalité va nécessiter plus d’efforts, qu’il faudra s’assurer de pouvoir compter sur un bon réseau de soutien, note Nicolas Berthelot. Mais la majorité des parents qui ont eu une enfance difficile ne reproduisent pas la violence dont ils ont été victimes. Donc, oui, il est possible d’offrir à son enfant ce qu’on n’a pas reçu. »

Une façon de mieux s’adapter à la vie de parent consiste à reconnaître l’impact de son lourd bagage de vie. « Les expériences du passé peuvent causer des difficultés dans le rôle parental, poursuit le chercheur. En prendre conscience avec l’aide d’un thérapeute est bénéfique, car cela permet de mieux composer avec ses émotions fortes et ainsi éviter que l’enfant en souffre. »

Comment dénoncer la violence?

Si vous croyez qu’un enfant est victime de violence physique ou psychologique, qu’il est exposé à la violence conjugale ou qu’il est victime d’abus sexuel ou de négligence, voici quoi faire.

Si vous croyez qu’un enfant est victime de violence physique ou psychologique, qu’il est exposé à la violence conjugale ou qu’il est victime d’abus sexuel ou de négligence, il est important de faire un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse de votre région (DPJ), qui va évaluer la situation. En 2022-2023, l’organisme a reçu 135 839 signalements et près du tiers ont été retenus pour une évaluation plus approfondie. Vous pouvez contacter la DPJ, même si vous n’avez pas de preuves. Lorsque le signalement n’est pas retenu, les familles peuvent être dirigées vers des services d’aide ou des organismes communautaires.

En cas de violence conjugale

Si une personne de votre entourage est violentée par son partenaire, il n’est pas conseillé d’insister pour qu’elle le quitte ou le dénonce. « La rupture est le moment le plus dangereux dans une situation de violence conjugale, affirme Claudine Thibaudeau, de SOS violence conjugale. C’est là où il y a le plus de violences graves. Ce n’est pas un moment que l’on veut précipiter. »

La meilleure approche consiste à intervenir en douceur en lui donnant du pouvoir sur la suite des choses. Par exemple, vous pouvez lui partager vos inquiétudes et lui proposer de l’aider à faire des recherches sur les ressources d’aide. Vous pouvez aussi l’aider à préparer des scénarios de protection, c’est-à-dire identifier les risques et se préparer à y réagir.

« L’idée, c’est de lui ouvrir des portes, illustre Claudine Thibaudeau. La décision de partir, la façon de le faire et le choix du moment appartiennent à la victime. ».

Où trouver de l’aide et de l’information?

Aide immédiate

Autres ressources

  • À cœur d’homme, réseau d’organismes d’aide aux hommes ayant des comportements violents : acoeurdhomme.com, 1 877 660‑7799
  • Centres de pédiatrie sociale : bit.ly/julien-centre
  • Fédération des maisons d’hébergement pour femmes : fmhf.ca
  • Fédération québécoise des organismes communautaires Famille : fqocf.org
  • Fondation Marie-Vincent : marie-vincent.org
  • Programme Espace : espacesansviolence.org
  • Projet STEP (Soutenir la transition et l’engagement dans la parentalité) : projetstep.ca
  • Rebâtir, consultation juridique gratuite pour les victimes de violence sexuelle ou conjugale : rebatir.ca, 1 833-REBÂTIR
  • Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale : maisons-femmes.qc.ca
  • Réseau Maisons Oxygène, aide et hébergement pour les pères en détresse et leurs enfants : maisonsoxygene.ca
À retenir
  • La violence familiale comprend les agressions psychologiques, physiques et sexuelles de même que la négligence envers l’enfant. La violence conjugale en fait aussi partie.
  • Toute forme de violence est inacceptable et affecte le développement d’un enfant.
  • Si vous êtes victime de violence ou avez des comportements violents, plusieurs ressources peuvent vous aider.
Naître et grandir

Source : magazine Naître et grandir, septembre-octobre 2023
Recherche et rédaction : Nathalie Vallerand
Révision scientifique : Marie-Ève Clément, Ph. D., professeure titulaire, département de psychoéducation et de psychologie, Université du Québec en Outaouais, chercheuse au regroupement recherches appliquées et interdisciplinaires sur les violences intimes, familiales et structurelles, et à l’institut universitaire Jeunes en difficulté.

RESSOURCES

  • La violence familiale dans la vie des enfants du Québec, 2018, Institut de la statistique du Québec, 2019, 150 p. bit.ly/violence-enfants
  • La violence familiale, Gouvernement du Canada. bit.ly/violence-canada
  • Le trauma complexe chez l’enfant et l’adolescent, M.-E. Grisé Bolduc, Éditions Midi trente, 2022, 160 p.
  • Tempête dans la famille, I. Côté, L.-F. Dallaire et J.-F. Vézina, Éditions du CHU Sainte-Justine, 2019, 192 p

 

Photos (dans l’ordre) : GettyImages/Fizkes, Rawf8, Stefanikolic, Krblokhin et urbazon