Protéger les tout-petits à l’ère numérique

Pour plusieurs d'entre nous, partager sur les réseaux sociaux des photos, des vidéos et, sans y penser, des informations sur nos enfants est devenu un geste banal. Sans le vouloir, nous mettons ainsi la sécurité de nos enfants à risque. Et l'arrivée de l'intelligence artificielle n'arrange pas les choses. Comment mieux protéger nos tout-petits à l'ère numérique?

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Une empreinte numérique dès la naissance

L’empreinte numérique d’un enfant l’expose à des dangers, même si ses parents ont retiré les photos et les vidéos de leurs réseaux sociaux.

Par Maude Goyer

Fêtes d’enfants, activités en famille, visites de l’entourage, quotidien à la maison, tout était prétexte à la prise de jolies photos pour Minh, 35 ans, père de trois garçons de 8 ans, 4 ans et 5 mois. Sa conjointe et lui étaient d’accord : c’était inoffensif et cela permettait à la famille élargie, dont certains membres vivent aux États-Unis, de « garder contact ».

« Ça a pris un incident pour que je comprenne et que j’arrête tout ! » C’est ainsi que Minh résume son expérience. Il a récemment retiré de ses plateformes toutes les images de ses enfants. L’avis et la façon de faire de Minh et sa conjointe ont changé le jour où le visage de leur aîné s’est retrouvé sur la page d’accueil du site web d’un camp de jour qu’il avait fréquenté. « On n’avait pas fait attention et on avait accepté que des photos prises par son camp d’été soient partagées sur une plateforme publique, mais on ne pensait pas qu’elles seraient utilisées ainsi ! », explique le papa.

La famille a réussi, après plusieurs démarches, à faire retirer la photo, non sans perte de temps, d’énergie et de nuits de sommeil. « On était inquiets et on se sentait coupables », laisse tomber le père de famille.

L’empreinte numérique d’un enfant l’expose à des dangers, même si ses parents ont retiré les photos et les vidéos de leurs réseaux sociaux.

Même si la photo du garçon a disparu, l’empreinte numérique, elle, demeure. « L’empreinte numérique, c’est l’ensemble des données numériques, comme des photos, des vidéos et des renseignements personnels, qui restent en ligne et sur Internet », dit Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option consommateurs.

« Un parent qui ne prend pas de précautions n’est pas à l’abri de conséquences et son enfant non plus, déclare René Morin, porte-parole du Centre canadien de protection de l’enfance. On peut nettoyer Internet des images de notre enfant, mais ce n’est jamais une garantie à toute épreuve. Certains sites ou certaines plateformes peuvent continuer à héberger les images ou les renseignements personnels. »

Sécuritaires, les applications dans les garderies et les écoles?
Bien des garderies et des écoles du Québec utilisent des applications qui accumulent beaucoup d’informations sur les enfants et leurs familles. Les applications comme Planitou, ClassDojo et Klassroom permettent la création de communautés en tissant des liens entre les parents, les enfants, les éducatrices et les enseignants. Malheureusement, leur utilisation est peu encadrée et n’est pas toujours sécuritaire, indique Steve Waterhouse, expert en cybersécurité et chargé de cours en sécurité informatique à l’Université de Sherbrooke. « Dès qu’une application est associée à un utilisateur, cela signifie qu’elle laisse une empreinte numérique, expose-t-il. Ce n’est pas différent dans les écoles et les garderies! »

Selon lui, le manque d’informations, l’absence de connaissances et une certaine insouciance de toutes les personnes impliquées (écoles, directions, parents) mettent à risque la sécurité des enfants. L’une des solutions proposées par Steve Waterhouse : poser des questions. « Les parents peuvent demander, par exemple, quelle est la politique de protection des données personnelles et quelles sont les informations recueillies sur leur enfant. Les réponses fournies démontrent si les gens en place savent ce qu’ils font. » Il espère que cet enjeu va faire surface dans les débats publics.

Risques des publications sur les réseaux sociaux

Le surpartage parental de photos peut poser plusieurs problèmes à court et à long terme.

À l’âge de 13 ans, un enfant se retrouverait, en moyenne, avec 1 300 photos de lui en ligne, partagées par ses parents, selon une vaste étude réalisée en 2018 par le Bureau du commissaire à l’enfant en Angleterre.

Le surpartage parental de photos peut poser plusieurs problèmes à court et à long terme. « Trop souvent, les parents n’imaginent pas la source d’ennuis que cela peut devenir », dit René Morin. Il faut notamment se demander à quoi pourraient servir les photos et comment elles pourraient être utilisées par une personne mal intentionnée.

Quels sont les risques auxquels les parents exposent leur enfant en partageant des photos et des informations personnelles? Comment cela peut-il nuire à leur sécurité?

Le vol d’identité

Les informations partagées sur Internet sont une mine d’or pour les fraudeurs. « Un exemple banal : le parent qui fait une publication lors de l’anniversaire ou de la première journée d’école de son enfant. Le nom de l’école peut alors être révélé, tout comme l’âge de l’enfant, son quartier, sa rue… », souligne Alexandre Plourde.

Ces informations peuvent servir, même des années plus tard, à des fraudeurs pour trouver un mot de passe en répondant à des questions secrètes de sécurité à la place de votre enfant (ex. : Quel était le nom de ma première école ou le nom de mon premier animal de compagnie).

« Un adulte qui se fait frauder ou qui est victime d’un vol d’identité va s’en rendre compte assez rapidement, explique Alexandre Plourde, mais ce n’est pas le cas pour un enfant. Cela peut être repéré seulement des années plus tard! »

L’intimidation

Des photos trouvées sur les réseaux sociaux, par exemple un tout-petit sur la toilette, peuvent servir à intimider un enfant plus tard. « L’enfant peut faire rire de lui ou être humilié à l’école, précise Alexandre Plourde. Cela peut devenir une atteinte à sa réputation. » Ces images peuvent aussi porter atteinte à la vie privée de votre enfant qui n’a pas donné son consentement.

La pornographie juvénile

En collectant des images d’enfants ici et là, les prédateurs sexuels peuvent accumuler du contenu et en faire toutes sortes d’utilisations, prévient René Morin. La sextorsion, par exemple, consiste à faire du chantage à l’enfant en le menaçant de publier des images de lui s’il refuse d’en envoyer d’autres ou s’il ne verse pas une somme d’argent.

Magali, mère de deux fillettes de 4 et 6 ans, a justement cessé de partager des photos et des vidéos de ses filles sur Instagram lorsque l’une de ses nièces de 12 ans a vécu de la sextorsion. « J’ai vu ma soeur et sa famille vivre l’enfer. Sa fille avait tissé des liens avec un ami virtuel, qui était finalement un prédateur sexuel, confie la maman de 38 ans. La police a été alertée et l’homme a été accusé. Mais ça a changé ma façon de voir les choses! Je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres… »

Les risques liés à l’intelligence artificielle

L’arrivée de l’intelligence artificielle rend les choses encore plus inquiétantes. En effet, des personnes utilisent des techniques d’hypertrucage (deepfake) pour créer de nouvelles images. Par exemple, à partir d’une photo ou d’une vidéo, elles peuvent mettre le visage d’un enfant sur le corps d’une autre personne. Ces images modifiées peuvent ensuite se retrouver sur des plateformes de pornographie juvénile ou servir à manipuler un enfant. L’intelligence artificielle permet aussi d’imiter la voix d’un enfant à partir d’une vidéo. « Les logiciels et les applications se développent rapidement et les résultats sont confondants. On ne peut pas distinguer le vrai du faux », note René Morin.

Les bonnes pratiques

Voici ce que vous pouvez faire pour partager de façon plus sécuritaire.

Dans ce contexte, peut-on encore partager des photos et des vidéos ou faut-il l’éviter complètement ? Selon Marie-Pier Jolicoeur, chargée de cours, doctorante en droit à l’Université Laval et collaboratrice au Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (CIEL), il ne sert à rien de dramatiser. « Deux éléments entrent en opposition, dit-elle, soit notre liberté de publier, en tant que parents, et la vie privée de nos enfants. Il faut équilibrer ces deux éléments. Ça ne veut pas dire qu’il faut cesser de partager, mais il faut mieux partager ».

Voici ce que vous pouvez faire pour partager de façon plus sécuritaire :

Éviter les publications qui montrent votre enfant dans certaines situations.

Avant de partager quelque chose concernant un enfant, il est important de se mettre dans sa peau, dit Marie-Pier Jolicoeur. Autant que possible, ne publiez pas de photos de votre enfant dans une situation embarrassante (ex. : en pleine crise). Ne publiez pas non plus de photos où il est nu, complètement ou en partie (ex. : dans le bain, sur le petit pot). Demandez-vous : « Ce que je publie pourrait-il mettre mal à l’aise mon enfant ou lui nuire plus tard? »

Vous pouvez aussi ouvrir le dialogue avec votre enfant et lui demander son accord. Cela lui montre tôt comment utiliser sainement Internet et les réseaux sociaux, selon Marie-Pier Jolicoeur. Ainsi, il pourra lui-même protéger son image et ses renseignements personnels lorsqu’il sera plus grand. Il n’y a pas un âge précis pour demander son accord à un enfant : cela dépend de sa maturité et de son tempérament.

Limiter le nombre de publications et ne pas partager certaines informations.

« Posez-vous la question : “Est-ce une si bonne idée d’inonder Internet de photos de mes enfants? À qui et à quoi cela sert-il?” », lance René Morin. Il faut aussi éviter de publier des renseignements personnels, comme le nom de votre enfant, sa date de naissance, son adresse, le nom de son animal de compagnie, ses émissions préférées, ses problèmes de santé… Sachez qu’une photo est aussi considérée comme un renseignement personnel.

Resserrer vos paramètres de confidentialité et privilégier les plateformes privées.

Les experts croient aussi qu’il faut resserrer les paramètres de confidentialité de nos réseaux sociaux en choisissant l’option « Profil privé ». Par ailleurs, vous gagneriez à privilégier les plateformes privées pour partager les photos de votre enfant, comme les courriels, les textos, Messenger, WhatsApp ou les groupes privés sur Facebook. C’est plus sécuritaire, même s’il n’y a pas de garantie, rappelle Marie-Pier Jolicoeur.

Sécuriser vos comptes
Publier des photos, des vidéos et des informations sur votre enfant sur les réseaux sociaux peut être dangereux. Pour diminuer ces risques, une première étape importante est de configurer vos comptes en mode « Profil privé ». Notre guide, simple et pratique, vous montre comment faire, étape par étape : Guide pour sécuriser vos comptes sur les réseaux sociaux

Sensibiliser vos proches.

Préoccupés par la question de l’empreinte numérique, certains parents adoptent des comportements plus prudents. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas de leur entourage. Il est donc essentiel de communiquer vos attentes et vos besoins à vos proches. C’est ce qu’a fait Marie-Catherine, mère de jumeaux de 4 ans.

« Après une fête d’enfants chez des voisins, j’ai vu passer la photo de mes fils sur Facebook, raconte la maman de 44 ans. Je n’étais pas super contente. J’ai pris le temps d’expliquer à mes amis qu’ils devaient me demander la permission avant de publier quoi que ce soit sur mes enfants. Ils ne voulaient pas mal faire, ils n’y avaient tout simplement pas pensé. »

Selon Marie-Pier Jolicoeur, du CIEL, les mentalités évoluent et les gens sont de plus en plus sensibilisés aux dangers liés à la publication de photos et de vidéos de mineurs. « On peut dire à nos proches qu’on souhaite agir afin de prévenir les conséquences néfastes, conclut-elle. L’important, c’est d’en parler pour les sensibiliser et ouvrir la conversation. »

Connaissez-vous le droit à l’image?
Savez-vous qu’à moins que vous ne vous trouviez dans un endroit ou un événement public, personne ne peut diffuser une photo ou une vidéo de vous sans votre accord?

C’est ce qu’on appelle le droit à l’image. Les enfants ont eux aussi le droit à l’image : l’autorisation parentale est nécessaire pour publier et diffuser des images d’eux. En vertu du Code civil du Québec, il faut obtenir l’autorisation des deux parents, séparés ou pas, avant de publier des images de l’enfant. Seul bémol : la décision peut être prise par un seul parent s’il présume, de bonne foi, de l’accord de l’autre parent.

Prudence avec les jouets connectés

Il existe aujourd’hui des centaines de jouets connectés sur le marché. À première vue, ils peuvent sembler inoffensifs, mais il faut s’en méfier, car ils peuvent augmenter les risques de fuites de données personnelles

Il existe aujourd’hui des centaines de jouets connectés sur le marché. À première vue, ils peuvent sembler inoffensifs, mais il faut s’en méfier, car ils peuvent augmenter les risques de fuites de données personnelles.

La poupée interactive Cayla a fait beaucoup parler d’elle il y a quelques années. Cette poupée qui peut jaser et répondre aux questions des enfants a été bannie en Allemagne en raison du danger qu’elle représente pour la vie privée.

Les caméras, les micros et les capteurs qui se retrouvent dans ces jouets permettent aux entreprises de collecter de nombreuses données sur les enfants qui les utilisent. Par exemple, les images captées par la caméra ou les conversations que peut avoir votre enfant avec son ourson intelligent peuvent être enregistrées et se retrouver sur les serveurs du fabricant ou des serveurs externes.

De plus, comme pour n’importe quel objet connecté, il peut y avoir des failles dans la sécurité qui augmentent les risques de fuites de données personnelles. Elles peuvent alors être utilisées par des gens mal intentionnés. C’est d’ailleurs arrivé au Canada, il y a quelques années, lorsque des pirates informatiques ont eu accès aux données de centaines de milliers d’enfants via les serveurs d’un fabricant de tablettes pour enfants.

4 000
C’est le nombre de signalements reçus chaque mois par le Centre canadien de protection de l’enfance pour des images compromettantes concernant des enfants.

Comment rendre un jouet connecté plus sécuritaire?

Avant de décider d’acheter ou d’utiliser un jouet connecté pour leur enfant, les parents devraient effectuer des recherches auprès du fabricant et lire les informations qu’il fournit (ex. : FAQ, politiques de confidentialité). Le fabricant donne-t-il de l’information claire et complète au sujet de la protection des données ? « En cas de doute, on s’abstient d’acheter le jouet », recommande Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option consommateurs.

Une autre bonne idée : configurer le jouet pour s’assurer qu’il est sécurisé. Si l’option de resserrer certains paramètres est offerte sur le jouet intelligent, les parents devraient faire cet ajustement, conseille Alexandre Plourde. Communiquer le moins d’informations possible sur son enfant (prénom et nom de famille, date de naissance, etc.) et désactiver la technologie Bluetooth (qui sert à la géolocalisation) sont aussi de bonnes stratégies à adopter.

Il faut aussi faire preuve de prudence avec les applications pour enfants, qui ne sont pas différentes des autres applications. L’enfant n’est pas anonyme puisqu’il laisse une empreinte numérique chaque fois qu’il utilise un jeu en ligne. Certains jeux exigent la création d’un profil ou envoient des notifications quotidiennes sur les appareils mobiles. Ce sont des façons pour les entreprises d’en savoir un peu plus sur les utilisateurs et leurs habitudes.

À retenir
  • Publier des photos et des vidéos de votre tout-petit ainsi que des informations sur lui comporte des dangers.
  • Ces informations personnelles pourraient mettre mal à l’aise votre enfant plus tard et être utilisées par des personnes mal intentionnées (intimidation, fraude, pornographie juvénile…).
  • Il est conseillé de limiter les publications sur votre enfant et, s’il est assez vieux, de lui demander son consentement.
Naître et grandir

Source : magazine Naître et grandir, janvier-février 2024
Recherche et rédaction : Maude Goyer
Révision scientifique : Simon du Perron, avocat spécialisé dans la cybersécurité, le respect de la vie privée et la protection des renseignements personnels

Photos (dans l’ordre) : GettyImages/SanyaSM, GettyImages/mapodile, GettyImages/dusanpetkovic, GettyImages/AaronAmat et GettyImages/DmitryPK

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