Pour les filles, des poupées, des accessoires de cuisine, du maquillage et du rose. Pour les garçons, des outils, des superhéros, des camions et des couleurs vives. Au rayon des jouets, il y a souvent deux univers.
Pour les filles, des poupées, des accessoires de cuisine, des trousses de maquillage, du rose, du mauve et des paillettes. Pour les garçons, des jeux de construction, des superhéros, des camions, des couleurs vives. Au rayon des jouets, il y a souvent deux univers.
La distinction entre les jouets de filles et les jouets de garçons est dénoncée depuis plusieurs années, dans le milieu de la recherche de même que sur les réseaux sociaux. Plusieurs magasins ne présentent d’ailleurs plus les jouets selon le genre. Malgré tout, la séparation entre les jouets pour filles et pour garçons existe toujours. Il suffit de regarder les couleurs dans le rayon des jouets, sur les photos des emballages et dans les publicités. On voit rarement des filles jouer avec de petites autos et des garçons avec des poupées…
L’offre commerciale de jouets genrés ou stéréotypés a commencé à augmenter dans les années 1990. « Il y en a plus aujourd’hui que dans les années 1970 et 1980, constate Francine Descarries, professeure émérite au Département de sociologie et à l’Institut de recherche et d’études féministes de l’UQAM. On n’a qu’à penser aux nombreux jouets de princesses ou aux blocs de construction destinés aux filles permettant de construire des châteaux ou des salons de thé. »
Pourquoi cette distinction? C’est avant tout une question de marketing. « Si vous achetez à votre fille un vélo rose, vous ne le passerez probablement pas à son petit frère, dit la sociologue. Vous en achèterez un autre. Quand un fabricant vend deux vélos au lieu d’un, il double son profit. »
C’est inné ou acquis?
Comme plusieurs personnes, vous pensez peut-être qu’un enfant est naturellement attiré vers les jouets associés à son genre. En réalité, il s’agit probablement d’un comportement appris.
« À 12 mois, les bébés, filles et garçons, préfèrent regarder une poupée plutôt qu’une auto, affirme Diane Poulin-Dubois, professeure titulaire de psychologie et membre du Centre de recherche sur le développement humain de l’Université Concordia. Ce n’est pas étonnant, car les bébés sont très attirés par les visages humains. Une étude à laquelle j’ai participé a cependant révélé que les différences apparaissent autour de 18 mois. À cet âge, les filles aiment davantage regarder une poupée et les garçons, une auto. »
Que s’est-il passé? « Avant même la naissance d’un enfant, les parents et l’entourage installent souvent un univers genré, fait remarquer la psychopédagogue Rolande Filion. Le décor de la chambre, les vêtements, le type de jouets, tout est choisi en fonction du sexe de l’enfant. »
Tout ce que votre enfant vit, voit et entend contribue à construire sa personnalité et sa perception des femmes et des hommes. L’attirance vers les jouets associés au genre s’explique donc en grande partie par des facteurs sociaux. D’ailleurs, la science a prouvé que le cerveau se façonne avec les expériences et les apprentissages.
« Si l’enfant est attiré par des jouets stéréotypés en grandissant, c’est souvent parce qu’il a été exposé à ce type de jouets depuis qu’il est né. Les filles ne viennent pas au monde en aimant les princesses et les garçons, en aimant les camions! C’est notre société qui construit ces tendances », explique Rolande Filion.
Beaucoup plus qu’un simple jouet
Le problème avec les jouets genrés, c’est qu’ils entretiennent des stéréotypes qui contribuent aux inégalités entre les sexes. Ainsi, les jouets proposés aux filles ont souvent un lien avec les tâches domestiques, les soins au bébé et l’apparence, tandis que ceux des garçons sont liés à l’action, l’exploration et l’aventure.
« Cela lance aux enfants un message sur leur rôle dans la société et sur les attentes de leur entourage envers eux, souligne Francine Descarries. Pendant que les filles apprennent à s’occuper des autres et à se faire belles, les garçons comprennent qu’ils doivent être forts, courageux et dominants. »
Les tout-petits ressentent ces différences avant même de savoir parler, selon une étude de Diane Poulin-Dubois et d’autres chercheuses. « Dès 18 mois pour les filles et 23 mois pour les garçons, les enfants étaient capables d’associer un jouet stéréotypé au sexe correspondant », précise-t-elle.
Il n’aime que les jouets associés à son genre
Si votre enfant a surtout joué avec des jouets associés à son genre, c’est normal qu’il s’y intéresse plus. Il se conforme à ce qui lui a été montré. Mais il n’est pas trop tard pour élargir ses horizons et lui proposer autre chose. Pour l’encourager, n’hésitez pas à jouer avec lui. Il est important, toutefois, d’éviter de mettre de la pression sur l’enfant. C’est à lui de choisir ce qui l’intéresse. |
Miser sur la variété
Un enfant à qui on n’offre que des jouets associés à son genre peut ressentir de la pression pour entrer dans un moule. Par exemple, les filles qui jouent beaucoup avec des jouets qui valorisent l’apparence sont parfois très tôt insatisfaites de leur image corporelle, ce qui peut avoir un effet négatif sur leur estime de soi.
De plus, les jouets stéréotypés peuvent limiter les possibilités d’un enfant et influencer son choix de carrière plus tard. « Si peu de filles étudient en génie, en architecture ou en informatique, c’est entre autres parce qu’elles n’ont pas été assez encouragées à s’intéresser à d’autres jouets que ceux dits féminins », observe Rolande Filion.
Chaque type de jouet stimule des compétences différentes. « Par exemple, les jeux de blocs et de construction aident à améliorer les habiletés spatiales tandis que les poupées et les jeux d’imitation aident à développer le langage et les compétences sociales », indique Diane Poulin-Dubois.
Pour aider un enfant à bien se développer et à atteindre son plein potentiel, il est recommandé de lui donner accès à des jouets variés. C’est ce qu’essaient de faire les parents de Madeleine, 2 ans, et de Jérôme, 9 mois. « Nous pensons que c’est bon pour nos enfants de jouer autant avec des poupées qu’avec des camions, de petits outils ou des accessoires de coiffure. Cela leur permet de découvrir leurs propres goûts et leurs talents », dit Véronique Poupart-Monette.
L’idée, en effet, n’est pas de refuser à une fille une maison de poupées ou à un garçon une piste de course, mais plutôt de ne pas les limiter à cela. « Les jouets ne devraient pas avoir de sexe, pense Francine Descarries. Offrir à un enfant une variété de jouets, c’est lui dire qu’il n’y a pas de barrières et qu’il peut devenir ce qu’il veut en fonction de ses intérêts et de sa personnalité. »
Deux poids, deux mesures
Voir une fille jouer avec des outils ou se déguiser en superhéros, c’est bien. C’est même encouragé, car les parents et les gens en général veulent lutter contre la discrimination envers les filles et leur ouvrir toutes les portes. Mais encore aujourd’hui, un garçon qui joue avec une poupée, par exemple, c’est moins bien vu.
« Les parents ont peur que leur fils fasse rire de lui », constate Francine Ferland. Certains croient aussi que les jouets peuvent avoir un impact sur l’orientation sexuelle. Cette croyance n’est pas fondée. « L’orientation sexuelle n’est pas déterminée ni influencée par les jouets », précise l’ergothérapeute.
Heureusement, les parents sont de plus en plus ouverts à propos des jouets avec lesquels jouent les garçons. Christina D’Alesio et Bruno Tremblay, parents de Matteo, 2 ans, et d’Adamo, 4 mois, ont offert une poupée à leur aîné pour l’aider à se préparer à l’arrivée de son petit frère. Ils lui ont aussi acheté une cuisinette. « Il s’amuse de temps en temps à faire semblant de cuisiner, mais il préfère encore jouer avec ses petites autos et ses blocs », disent-ils toutefois.
Les garçons, tout comme les filles, gagnent à être exposés à de multiples expériences. « Une grande partie de la vie des garçons va avoir lieu avec leur famille, à la maison, mais les jouets typiquement masculins ne les préparent pas à s’occuper d’un enfant ou à partager les tâches domestiques, déplore Francine Descarries. Par exemple, jouer avec des poupées développe l’empathie et incite à se soucier des autres. Ces habiletés sont aussi importantes pour les garçons que pour les filles. »
Lego : retour aux jouets non genrés
En 2021, le groupe Lego a annoncé qu’il allait supprimer les stéréotypes de genre de sa marque. Il ne devrait donc plus y avoir de modèles destinés aux filles et d’autres, aux garçons. Au début des années 1980, les Lego étaient plutôt neutres. Ils sont devenus stéréotypés avec le temps : les blocs roses et mauves, les formes de cœur et la série Friends visaient à attirer spécifiquement les filles. |
|
-
Votre enfant n’a pas besoin de jouets éducatifs pour bien se développer, car tous les jouets peuvent lui apprendre quelque chose.
-
Il est important de proposer à votre enfant des jouets variés pour stimuler tous les aspects de son développement.
-
Comme les jouets dits « de fille » ou « de garçon » véhiculent des stéréotypes, mieux vaut ne pas limiter votre enfant à ce type de jouets.
|
| Source : magazine Naître et grandir, novembre-décembre 2019 Recherche et rédaction : Nathalie Vallerand Révision scientifique : Josiane Caron Santha, ergothérapeute
Mise à jour : Juillet 2024
|
RESSOURCES ET RÉFÉRENCES |
Livres -
Et si on jouait?, F. Ferland, Éditions du CHU Sainte-Justine, 2018, 240 p.
-
Le monde des jouets et des jeux, F. Ferland, Éditions du CHU Sainte-Justine, 2013, 180 p
- Le Système ESAR, pour analyser, classifier des jeux et aménager des espaces, R. Filion, Éditions À la page, 2015, 352 p.
Références -
AUSTRALASIAN JOURNAL OF EARLY CHILDHOOD. Gender stereotypes and biases in early childhood: A systematic review, 2021. journals.sagepub.com
-
THE CONVERSATION. Lego’s return to gender neutral toys is good news for all kids, 2021. theconversation.com.
|
Photos : GettyImages/Doble-d, Diane39, Martin Prescott et Solstock, et Maxim Morin