Familles monoparentales: 4 parents se confient

Le nombre de parents monoparentaux est en augmentation au Québec depuis plusieurs années. Mais au-delà des chiffres, comment se vit la monoparentalité quand il n’y a pas de deuxième parent pour prendre la relève? Pour mieux connaître cette réalité, nous avons rencontré trois mères et un père qui élèvent seuls leurs enfants. Marie Christine, Keven, Luz Maria et Sandy nous parlent de leur vie de famille, de leurs défis et des trucs qu’ils ont développés au fil du temps pour faciliter leur quotidien.

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Concilier monoparentalité et travail

Assumer les dépenses de la famille et travailler tout en prenant soin de ses filles : voilà les principaux défis que rencontre Marie Christine Proulx, mère de Flora, 1 an, et de Cattleya, 7 ans.

Assumer les dépenses de la famille et travailler tout en prenant soin de ses filles : voilà les principaux défis que rencontre Marie Christine Proulx, mère de Flora, 1 an, et de Cattleya, 7 ans.

Par Amélie Cournoyer

« Monétairement, c’est difficile. Je suis proche de la pauvreté », dit la maman de 33 ans, qui a eu recours à l’aide sociale et à l’aide alimentaire de façon temporaire après la naissance de son aînée. Elle travaillait alors en administration, mais avait décidé de quitter un poste de soir pour trouver un emploi plus adapté à sa vie de famille.

Mais elle a eu de la difficulté à trouver mieux. Elle a même perdu un nouvel emploi après avoir reçu, pendant sa formation, un appel de la garderie pour aller chercher sa fille malade. « La boss m’a dit : “J’espère que ça ne sera pas toujours comme ça.” Je lui ai répondu que je n’avais pas le choix, parce que j’étais toute seule. »

La maman est finalement retournée sur les bancs d’école pour devenir éducatrice à l’enfance. « C’est un milieu plus ouvert à la conciliation famille-travail », dit-elle, heureuse de son choix.

SOS manque de temps!

Entre les soins du bébé, les devoirs de la plus grande, le ménage, les repas, les courses et tout le reste, Marie Christine manque de temps. « Je me sens aussi vraiment épuisée », soupire celle dont le congé parental achève. « Ça me stresse. Je me demande comment je vais réussir à tout faire en travaillant en plus! »

Au fil des années, la maman a toutefois développé des trucs pour alléger ses tâches quotidiennes. Par exemple, pour les repas, elle utilise à l’occasion un service de traiteur. Elle compte aussi un peu sur sa plus grande. En effet, Cattleya a commencé à lui donner un coup de main en rangeant sa chambre et en sortant les poubelles, entre autres.

« Ma famille a toujours été là pour moi, mais j’avais du mal à accepter leur aide. »

Accepter l’aide

Marie Christine sort rarement seule ou avec des amis. « Et je ne prends plus soin de moi comme avant, regrette-t-elle. J’aimais me faire faire les ongles, par exemple, mais je n’ai plus le temps pour ça. »

L’an dernier, elle a déménagé pour se rapprocher de sa famille. Ses parents gardent Cattleya à l’occasion. Et le père de Flora passe une journée par semaine avec elle. Cela lui a permis récemment de passer du temps avec une amie, ce qui lui a fait « extrêmement de bien ». « Maintenant, quand on m’offre de l’aide, je la prends! », conclut la maman.

Quand papa a la garde

Keven Fortin s’occupe seul de sa petite fille de 2 ans. Les pères qui ont la garde exclusive sont plutôt rares. Mais pour lui, le plus difficile n’est pas d’être un père monoparental. Non, son plus gros défi, c’est de ne pas être deux.

Keven Fortin s’occupe seul de sa petite fille de 2 ans. Les pères qui ont la garde exclusive sont plutôt rares. Mais pour lui, le plus difficile n’est pas d’être un père monoparental. Non, son plus gros défi, c’est de ne pas être deux.

Par Nathalie Vallerand

« À deux, on forme une équipe. On peut se soutenir. C’est ce qui me manque le plus. Par exemple, en ce moment, j’essaie d’entraîner Odéliane à abandonner sa suce, mais il n’y a personne pour m’aider à tenir mon bout quand elle pleure pour l’avoir », constate Keven.

Échanger avec les autres

Être seul à gérer la discipline, les bobos et les petits problèmes, ce n’est jamais simple non plus. « Un matin, ma fille s’est réveillée malade, raconte le papa. J’angoissais. Je ne savais pas quoi faire! »

Pour trouver des solutions, le papa aime bien parler avec d’autres parents. « Une de mes collègues a une fille du même âge que la mienne, dit Keven. On discute de l’éducation des enfants. On partage nos trucs. »

Fatigué, mais toujours présent

Étant le seul parent, les besoins de sa fille passent forcément avant les siens. « Si je suis fatigué ou si j’ai eu une mauvaise journée au travail, je ne peux pas m’étendre pour me reposer. Je dois m’occuper d’Odéliane. Ma priorité, c’est elle! »

Dans ces moments-là, Keven propose à sa fille des activités tranquilles qu’elle peut faire seule à ses côtés, comme du coloriage. Et quand il a vraiment besoin de temps pour lui, il peut compter sur ses parents pour garder. « C’est important d’avoir du répit. Sinon, la fatigue accumulée va affecter mon moral. »

Keven constate que les gens ont généralement un regard positif sur sa situation de père monoparental. « Mais quand j’ai demandé la garde, j’ai entendu des commentaires comme quoi ma fille avait besoin d’une mère dans sa vie. Au tribunal, j’ai aussi eu de la difficulté à obtenir la garde parce que je suis un homme, même si la mère de ma fille ne peut pas s’en occuper. Cela prouve qu’il y a encore des mentalités à changer. »

Mais, le plus important pour lui est de passer du temps avec sa fille et de voir qu’elle se développe bien. « J’arrive à lui faire des queues de cheval. Il ne me reste plus qu’à apprendre à faire des tresses et ce sera parfait! », dit-il en riant.

« Mes parents sont de bon conseil. Je parle beaucoup avec eux. »

Un double défi pour une mère immigrante

Luz Maria Silva a fui le Mexique en novembre 2019 parce qu’elle craignait pour sa sécurité. Elle ne se doutait pas qu’elle allait apprendre qu’elle était enceinte de jumelles quelques mois après son arrivée au Québec.

Luz Maria Silva a fui le Mexique en novembre 2019 parce qu’elle craignait pour sa sécurité. Elle ne se doutait pas qu’elle allait apprendre qu’elle était enceinte de jumelles quelques mois après son arrivée au Québec.

Par Nathalie Vallerand

Lorsqu’elle est partie de son pays, Luz Maria a dû laisser ses deux fils de 13 et 21 ans avec leur père, dont elle est séparée. En arrivant à Montréal, elle a eu un choc. « Je ne connaissais rien du Québec, je ne comprenais pas le français et il faisait froid. »

Son cellulaire a été sa bouée de secours. « Des groupes d’immigrants sur Facebook m’ont donné des conseils. J’ai aussi téléchargé une application de traduction. Ça m’a permis de me débrouiller à Montréal. »

Une grossesse surprise

Le plus grand choc de Luz Maria a cependant été d’apprendre qu’elle était enceinte. « Je ne m’y attendais pas, avoue la demandeuse d’asile qui vivait alors en chambre. Mais je me suis dit que si Dieu m’envoyait deux bébés, c’est parce que je pouvais m’en occuper. »

La grossesse n’a pas été de tout repos. Luz Maria a fait du diabète de grossesse. Comme elle allait souvent à l’hôpital, les gens chez qui elle logeait avaient peur d’attraper la COVID-19 à cause d’elle. « J’ai dû chercher une nouvelle chambre à quelques reprises. C’était décourageant. »

Accoucher seule a aussi été une source d’inquiétude pour la maman de 42 ans. Heureusement, elle a été bien entourée par les infirmières lorsque le grand jour est arrivé. « Ç’a m’a réconfortée », dit-elle.

Du soutien et du répit

Après la naissance de ses petites Zia Arely et Azul Lucero, qui ont maintenant 2 ans, la mère monoparentale a fait une dépression. « J’étais fatiguée moralement et physiquement. Je me demandais qui prendrait soin de mes filles si je tombais gravement malade ou si je mourais. Ça me faisait paniquer. »

Heureusement, Luz Maria a pu recevoir de son CLSC quelques heures de gardiennage par semaine. Un répit apprécié, car s’occuper seule de deux bébés, c’est beaucoup de travail! Le CLSC a aussi dirigé la maman vers le CARI Saint-Laurent, un organisme qui aide les immigrants dans leur intégration au Québec.

« Je suis inscrite au programme de francisation, mes filles vont à la halte-garderie, je participe aux activités sociales », dit avec fierté la maman qui rêve que ses jumelles aient une bonne éducation et une belle vie ici.

« Je me suis fait des amies. Ça m’a aidée à retrouver une stabilité émotionnelle. »

Choisir d'être une maman solo

Sandy Roy est une maman soloparentale qui fait preuve de beaucoup d’organisation pour élever seule ses deux garçons, Vincent, 4 ans, et Victor, 6 ans.

Sandy Roy est une maman soloparentale qui fait preuve de beaucoup d’organisation pour élever seule ses deux garçons, Vincent, 4 ans, et Victor, 6 ans.

Par Amélie Cournoyer

Sandy a entamé les démarches pour avoir un enfant par insémination artificielle avec un donneur anonyme à l’âge de 28 ans. « J’ai toujours dit : la fertilité a une date d’expiration, mais on peut tomber en amour n’importe quand dans une vie », raconte la femme qui habite sur la Rive-Sud de Québec. Elle a ainsi accouché de Victor en mai 2016, puis de Vincent en avril 2018.

En décidant de fonder une famille seule, Sandy comprenait dans quoi elle s’embarquait. Les gens lui disent souvent qu’elle est courageuse d’être soloparentale. Sandy n’est pas d’accord. « Je savais que je serais seule pour tout faire. Alors, je n’ai pas d’attentes envers les autres. J’ai l’impression que ça m’amène de la quiétude. »

Des défis malgré tout

Les défis sont tout de même nombreux pour la maman solo. L’infirmière a dû changer d’emploi l’an dernier pour mieux concilier sa vie de famille et son travail. « J’avais un horaire atypique et je faisais régulièrement des heures supplémentaires. Je travaillais trop et je devais souvent faire garder les garçons. J’étais au bout du rouleau », se souvient-elle.

Sandy a maintenant un emploi avec un horaire plus stable, mais l’organisation du quotidien demeure un défi. « Je ne peux pas faire de télétravail ni prendre congé comme je veux », explique-t-elle. Lorsqu’un de ses garçons tombe malade, par exemple, elle doit faire appel à son réseau.

« Je me sens zen. Ce n’est pas si difficile pour moi. »

Entourée et bien organisée

Sandy habite sur la même rue que ses parents et à côté de sa soeur jumelle. Sa famille lui donne donc un coup de main pour garder Victor et Vincent au besoin. « Je suis chanceuse d’être bien entourée », reconnaît-elle.

« J’ai aussi une routine stable et nos règles de vie sont constantes », ajoute la maman. À son avis, cette organisation prévisible limite les interventions de discipline avec ses garçons. « Ils vivent rarement des crises de colère. »

Sandy s’est également donné des moyens pour se faciliter la vie. Elle commande son épicerie en ligne et elle achète parfois du prêt-à-cuisiner. De plus, elle a choisi d’habiter en appartement, parce que c’est moins d’entretien qu’une maison. « Je me suis aussi payé un robot aspirateur et un robot lave-plancher. Je les utilise tous les jours. Ça oblige les enfants à ramasser leurs jouets », dit-elle avec un sourire dans la voix.

La monoparentalité en bref

Plusieurs situations mènent à la monoparentalité. Un parent peut se retrouver seul pour élever ses enfants après un divorce, une séparation ou un décès. Certaines personnes choisissent aussi d’avoir un enfant seul (soloparentalité). D’autres se retrouvent seules parce que l’autre parent refuse de s’engager ou n’est pas en mesure de le faire.

Plusieurs situations mènent à la monoparentalité. Un parent peut se retrouver seul pour élever ses enfants après un divorce, une séparation ou un décès. Certaines personnes choisissent aussi d’avoir un enfant seul (soloparentalité). D’autres se retrouvent seules parce que l’autre parent refuse de s’engager ou n’est pas en mesure de le faire.

  • Au Québec, une famille sur quatre avec enfants mineurs est monoparentale*. Cette situation familiale est en constante augmentation depuis les dernières décennies. Par exemple, en 1991, une famille sur 5 était monoparentale, c’était une sur 10 en 1971.
  • La majorité des familles monoparentales sont dirigées par des femmes (76 %) et près d’une famille monoparentale sur cinq (19 %) a à sa tête un parent immigrant.
  • Plusieurs vivent de la pauvreté. En effet, 28 % des familles monoparentales n’ont aucun revenu ou gagnent moins de 30 000 $ par année. Cette situation ne concerne que 3 % des familles avec deux parents.
  • Les mères monoparentales vivent plus de pauvreté : 29 % d’entre elles gagnent moins de 30 000 $ par année contre 24 % pour les pères monoparentaux.
  • Les familles monoparentales les plus pauvres sont celles qui ont des enfants de 4 ans et moins : 41 % d’entre elles gagnent moins de 30 000 $ par année.

Malgré les difficultés et certains préjugés qui persistent, la monoparentalité est mieux acceptée de nos jours. Selon un sondage effectué en 2013, 63 % de la population du Québec pense que les enfants de familles monoparentales ont autant de chance de bien se développer et d’être heureux que ceux qui vivent dans une famille avec deux parents.

Sources : Conseil du statut de la femme et ministère de la Famille du Québec

*Statistique Canada considère comme monoparental le parent vivant sans partenaire et qui a son enfant avec lui le jour du recensement, même si l’enfant est dans une garde partagée où il passe autant de temps avec ses deux parents.

 

Naître et grandir

Source : magazine Naître et grandir, novembre 2022
Recherche et rédaction : Amélie Cournoyer et Nathalie Vallerand

 

RESSOURCES

  • Famille monoparentale : quand un parent n’est pas là
    naitreetgrandir.com
  • Familles monoparentales : la grande aventure, A.-C. Sabas, Éditions Michalon, 2019, 288 p.
  • Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec
    fafmrq.org
  • La Petite Maison, organisme communautaire pour mères monoparentales
    petitemaisondelamisericorde.org
  • Maman solo : redéfinir sa famille, N. Farr, Éditions de Mortagne, 2021, 300 p.
  • Mères avec pouvoir, organisme communautaire qui favorise le développement des mères monoparentales
    meresavecpouvoir.org
  • Parent au singulier : la monoparentalité au quotidien, C. Guilmaine, Éditions du CHU Sainte-Justine, 2012, 200 p.
  • Réussir sa famille monoparentale et reconstituée : guide pour retrouver et maintenir l’équilibre, M. Montpetit, Éditions La Semaine, 2019, 176 p.

 

Photos (dans l’ordre) : Nicolas St-Germain, Guillaume Roy, Maxim Morin et GettyImages/mapodile