Décliner, rapetisser, s’affaisser au ralenti pour finalement disparaître. C’est ce qui m’attend doucement, mais sûrement. Du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à la semaine dernière.
Nous étions alors réunies, ma famille et moi, autour de la table pour le souper. J’écoutais, d’une oreille distraite, les histoires rocambolesques sans sujet ni verbe de ma fille, quand tout à coup, au détour d’une phrase incompréhensible, j’ai vu! Vu l’expression de son visage, ses yeux écarquillés, ses taches de rousseur, ses fossettes qui se creusent et ce rire tellement joyeux. Le choc. C’était moi tout craché. D’un coup, je me suis vue pousser en dehors de moi. Les gens m’avaient pourtant prévenue lorsqu’elle était haute comme trois pommes en me disant : « C’est drôle, quand elle est née, c’était le portrait de son père, mais maintenant, elle te ressemble de plus en plus. » Je prenais ça pour de la politesse, car honnêtement, en la regardant, je ne voyais rien, excepté des joues rondes à croquer et un besoin d’être aimée et protégée, comme n’importe quel bébé. Pour le reste, je me demandais bien quel bout pouvait m’appartenir. Chaque détail me rappelait plutôt son père : de grands yeux bruns, une bouche fine et un petit nez.
Donc, rien vu, rien entendu, jusqu’à cet instant magique où j’ai aperçu tous ces petits bouts d’elle-même s’animer et devenir un tout : un tout « moi » version miniature qui m’a bouleversée. J’ai tourné la tête vers mon fils qui écoutait sa grande soeur avec un sourire admiratif. Le même que le mien. Pendant ce temps-là, à l’autre bout de la table, ma petite dernière faisait rire son père en lui faisant des grimaces, une de mes activités préférées quand la vie devient trop sérieuse. J’ai réalisé soudain que la plus belle image de moi-même n’était pas devant le miroir de la salle de bain, mais plutôt devant moi et, de surcroît, multipliée par trois!
Aujourd’hui, tandis que je disparais doucement derrière mes rides, je renais en même temps, ici et là, dans le visage et les expressions de mes enfants. Je me croise au creux de leurs rires. Au détour de leurs soupirs. C’est joli de se voir renaître dans un corps tout petit et tout neuf. Je n’y avais pas pensé en les mettant au monde. Depuis, j’ai fait des économies en jetant mes crèmes antirides. À la place, j’ai acheté des bonbons acidulés à toute ma famille. Je sais, c’est très mauvais pour les dents, mais ça pétille dans la bouche. C’est comme la vie!
16 juin 2009