Ma mère était une super maman, comme toutes les mères de son quartier. Elle fumait dans la maison (on n’avait pas encore découvert la fumée secondaire), me nourrissait au biberon (les spécialistes affirmaient que c’était meilleur pour ma santé que le lait maternel), me couchait sur le ventre en me laissant pleurer des nuits entières dans mon lit (sa voisine lui avait dit que c’était un truc infaillible pour m’apprendre à m’endormir seule) et évitait de me prendre trop dans ses bras (non! aux bébés capricieux). À 3 mois, elle me nourrissait avec des céréales et à 3 ans, m’obligeait à finir mon assiette si je voulais manger mon dessert. À 4 ans, elle me laissait faire du vélo sans casque, ne m’attachait pas dans l’auto, ne jouait presque jamais avec moi et me racontait rarement des histoires avant de me coucher.
Si l’Inquisition existait encore, je crois que ma pauvre mère serait brûlée vive sur le bûcher de l’irresponsabilité pendant que moi, pauvre victime, serais élevée au rang de sainte Survivante pour avoir résisté à cette mère sans bon sang. Pourtant, ne vous en déplaise... je la défendrai corps et âme.
Évidemment, quand elle m’a raconté comment ça se passait à son époque, j’ai failli courir à l’hôpital pour réclamer un examen complet de mon corps et de mon esprit. Faute de temps, je me suis ravisée pour me concentrer sur le bien-être de mes propres enfants en suivant les conseils de ma génération de spécialistes. Après tout moi aussi, j’ai le droit d’être une super maman comme toutes les mères de mon quartier, de la blogosphère.
Alors, pourquoi la défendrai-je? Lorsque je rembobine ma mémoire, je n’ai pas l’image d’une femme en bigoudis, cigarette au bec en train de m’enfourner un biberon dans la bouche, mais plutôt celle d’une femme aimante et souriante qui m’attend à la sortie de l’école avec un croissant au chocolat. Je la vois aider ma maîtresse à préparer une activité en classe, coudre mon costume d’oiseau des îles, ranger ma chambre, me border le soir après avoir déposé un baiser sur mon front, jardiner près de moi pendant que j’invente des histoires de monstres avec des brins d’herbe. Je la sens encore me serrer dans ses bras pour sécher mes larmes de petite fille blessée. Je l’entends rire de mes blagues, changer mon lit de place pour me donner l’impression de dormir dans une nouvelle chambre. Bref. Elle est là, aux 4 coins de mon enfance. Ce sont ces images que j’ai gardées bien au chaud dans ma mémoire pour les offrir à mon tour à mes enfants, avec quelques gestes en moins (coudre!) et quelques autres en plus (lire et jouer!).
8 juin 2011