Je suis assise dans la forêt sur une pierre deux fois trop petite pour la grandeur de mes fesses et je tiens dans ma main ce qui est censé constituer mon repas. Le fond du bol est rempli d’une substance noire et gluante dans laquelle baignent de la boue, des cailloux, des fougères, du gazon, un vieux chewing-gum, des cheveux de poupée et un lacet de chaussure. Je m’extasie.
- « Mais que c’est beauuuuuuu! Ça a l’air déliciiiiiieux! »
Mon petit bonhomme se gonfle de fierté. Ma petite me regarde, étonnée. Elle doit se dire que décidément sa mère est folle.
J’enchaîne en humant l’odeur… pestilentielle.
- « Ça sent tellement boooon! Vite, vite, vite, donnez-moi une cuillère. Il faut que je goûte à ça! »
Au moment où je plonge mon bâton-cuillère à l’intérieur, j’aperçois un truc bouger à la surface. Je hurle :
- « QU’EST-CE QUE C’EST?!! »
- « C’est une protine. Tu dis touzours : faut manzer des protines… »
- « Des protéines. On dit des protéines. »
- « Des potéines. Alors z’ai demandé à papa c’est quoi des potines. Y m’a dit c’est d’la viande alors moi, z’ai mis un ver de terre dans ma soupe aux feuilles. Maintenant tu manzes. C’est bon pour la santé. Et pis aussi tais-toi. »
Je me tais. Je remue mon ver de terre et je me penche en faisant semblant de boire ma soupe. J’en balance discrètement la moitié par terre (incluant l’être vivant qui gigote) puis me redresse en m’essuyant la bouche. Ma grande se marre, mon fils jubile et ma petite dernière me regarde les yeux écarquillés, persuadée que je viens vraiment d’avaler ce truc infâme qu’elle vient de préparer avec son frère.
- « Maman? »
- « Quoi mon chéri? »
- « Tu vas mourir. »
- « Pourquoi tu dis ça??? »
- « Le ver de terre était pas bologique. »
- « Boloquoi? »
- « Il veut dire : biologique », me traduit ma grande.
J’écarquille les yeux. Je pousse un cri de fin du monde. Je mets ma main sur ma bouche, une autre sur mon ventre, je ferme les yeux et je tombe à la renverse au milieu des feuilles mortes!
23 septembre 2009